Actes n°7 / La fabrique de l'opinion : communication, propagande, médias

La communication politique technologisée: l'hologramme et l'audience

Le cas de Jean-Luc Mélenchon durant la campagne présidentielle 2017

Yacine Boulaghmen

Résumé

Cette contribution porte principalement sur les rapports entre un meneur de foules (Le Bon, 1895) et son public, configurés par le truchement des technologies de l’information et de la communication. Nous nous focaliserons dans cette recherche sur l’usage de l’ « hologramme » dans la communication politique. En s’intéressant à la scène politique française, nous présentons le cas unique de Jean-Luc Mélenchon lors de sa campagne présidentielle de 2017. Nous proposerons par la suite de comparer l’efficacité de ce dispositif au plan communicationnel avec celle de l’usage d’autres objets technologiques. Nous postulons dans cette perspective que les caractéristiques de chaque type de dispositifs ont tendance à déterminer le degré de proximité d’un meneur de foules avec son audience. Notre étude permet à ce titre de rendre compte des outils permettant une communication bidirectionnelle/monodirectionnelle, synchrone/asynchrone. Ces critères de transmissions des signes peuvent avoir des effets communicationnels forgeant l’opinion de l’audience sur l’orateur/meneur de foules. Dans cette optique, le principe des zones anthropiques (Rastier, 2001) nous permettra de situer les éléments impliqués dans la transmission des signes dans une situation de communication. Nous verrons en ce sens que le moyen de communication le plus efficace reste l’interaction non-interfacée, c’est-à-dire l’effacement des frontières physiques entre le meneur de foules et son audience.

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Introduction

Au temps de la peopolisation de la vie politique (Dakhlia & Lhérault, 2008), notamment après l’avènement du web social, les personnalités publiques ont tendance à simuler une relation de proximité avec leurs audiences.

De nombreux travaux s’intéressent à cette configuration communicationnelle favorisée par la banalisation des technologies de l’information et de la communication, donnant accès à des contenus multimodaux, sur des plateformes de partage et des interfaces de micro-blogage (Coulomb-Gully, 2009 ; Yanoshevsky, 2009). Ces nouveaux médias constituent un terrain de rencontre, d’entente et de mésentente. Mais ce qui importe pour le politique, c’est de recourir à la technologie pour réduire l’effet de surplomb, souvent constaté dans une interaction non-interfacée avec ses interlocuteurs.

Aujourd’hui, cette tendance semble monotone, vu le caractère figé et uniforme de certains contenus et de leur présentation dans des Templates (modèles) préconfigurés par les développeurs de plateformes de micro-blogage. Par ailleurs, le public a tendance à prendre conscience que l’identité-écran (Perea, 2010) qu’incarne le politique relève de la mise en scène à des fins électorales.

Avec l’introduction de l’ « hologramme » dans la communication politique, par le Premier ministre indien, Narendra Modi (2012, 2013 et 2014), suivi par le Chef du gouvernement turc, Recep Tayyip Erdogan (2014)[1], nous postulons que l’interaction interfacée peut aller au-delà de l’écran. Nous verrons en ce sens qu’à l’ère post-vérité un simulacre de présence peut paraitre efficace, tant qu’il parvient à surprendre, donc, à émouvoir. Mais il convient de s’interroger sur l’efficacité de cette technique au plan communicationnel à long terme. En d’autres termes, les effets de cette technique sur l’audience, lorsqu’il s’agit de se forger une opinion sur l’orateur/meneur de foules. Pour ce faire, nous proposons une réflexion autour de l’usage de l’ « hologramme » par Jean Luc Mélenchon, candidat à l’élection présidentielle de 2017.

I.Terrain de recherche

Dans une vidéo datant du 12 janvier 2017[2] (figure 1)  présentée par l’énoncé « …Jean-Luc Mélenchon a fait une annonce surprenante », le candidat de « La France Insoumise » (LFI) à l’élection présidentielle de 2017, déclare qu’il va faire « une première mondiale » et qu’il va se « dédoubler ».  Cette annonce peut être vue comme un « événement » créé par une autorité énonciative, annonçant un autre événement qualifié de « premier meeting holographique en direct au monde ».

Nous retenons dans cet extrait une situation de communication impliquant au moins trois types d’acteurs : politiques, médias et audience (ou multitudes). Cette dernière catégorie se présente ici sous forme d’audience passive, tant qu’elle n’est pas interrogée par les médias et tant qu’elle ne dispose pas d’outils technologiques lui donnant accès au web social, où elle devient une audience participative (Livingstone, 2013).

[Figure 1] Jean-Mélenchon annonce un meeting holographique (capture d’écran, 17.01.2017)

Dans cette même vidéo, nous remarquons en arrière-plan le nom du mouvement politique de Mélenchon, « la France insoumise », ainsi que le hashtag « jlm2017 ». Nous suggérons ici que le public principal de Jean-Luc Mélenchon est constitué d’électeurs, dans le contexte de la campagne présidentielle de 2017.

L’événement annoncé concerne ici l’usage d’une technique innovante que Mélenchon dénomme « hologramme ». Il s’agit d’une illusion d’optique permettant de simuler une présence physique grâce à un équipement spécifique conçu initialement pour le monde du spectacle.

I.A. Problématiques et démarche méthodologique

Pour Gustave Le Bon (1895, p.107), les foules électorales, sont des collectivités appelées à élire les titulaires de certaines fonctions. Ce type de foules dispose, selon l’auteur, d’un nombre de caractéristiques telles que la faible aptitude au raisonnement, l’absence d'esprit critique, l'irritabilité, la crédulité et le simplisme. On découvre aussi dans les décisions de ce type de foules l'influence des meneurs. Ainsi, le défi d’un politique serait de mener une foule en mettant en œuvre des moyens tels que l'affirmation et la contagion émotionnelle (Lazzeri, 2016). Dans la même veine, les sentiments, les émotions, les croyances possèdent un pourvoir contagieux si puissant qu’il impose aux individus non seulement certaines opinions, mais aussi certaines façons de sentir (Le Bon, 1905, p. 113).

Parmi les voix qui s'opposent à cette vision est celle de Pierre Bourdieu. Dans son ouvrage sur la télévision (1996), l’auteur soutient que les individus, même au sein des foules électorales, ne sont pas simplement des êtres passifs soumis aux manipulations des leaders politiques. Selon Bourdieu, les électeurs possèdent une capacité critique et un habitus qui influence leurs décisions politiques. Il argue que les préférences et les opinions des individus sont formées par leurs expériences sociales et culturelles, et non simplement par des influences émotionnelles ou la contagion collective. Bourdieu remet en question l'idée que les foules sont irrationnelles et souligne l'importance des structures sociales et des contextes culturels dans la formation des opinions politiques. Mais dans ce dernier cas, qu’en est-il des émotions collectives étudiées en sociologie (Susca, 2019 ; Kaufmann & Quéré, 2020) ?

Pour établir l’un des deux constats, nous proposons d’étudier de près l’événement concernant Mélenchon et annoncé par la vidéo que nous venons de décrire très brièvement. Sur une scène politique qui connait une concurrence féroce entre politiciens, en proposant des solutions assez similaires, il est important de savoir comment chacun pourrait se démarquer des autres.

I.B. Déterminer le type d’événement

Dans le dictionnaire de la langue française (ici le Petit Robert, 2021), le mot événement est défini comme un résultat, c’est-à-dire un « fait auquel vient aboutir une situation ». Cette lexie renvoie aussi à « ce qui arrive et qui a quelque importance pour l’être humain ».

Quéré distingue deux types d’événements. Le premier se manifeste comme une réaction spontanée, fondée sur les habitudes, la perception directe et l’émotion. Il s’agit ici d’un événement existentiel (2013, p.5). Celui-ci n’est pas isolé d’un environnement habituel et n’est pas constitués en objets à connaître. Par exemple, les meetings électoraux sont tenus habituellement durant une campagne électorale. Il s’agit alors d’un événement existentiel dans la vie politique d’une communauté socioculturelle.

Quant au second type d’événement, il ne se présente pas comme une conséquence directe de changements continus dans un environnement donné. En d’autres termes, il s’agit d’« un ensemble d’occurrences découpées dans le flux des changements » (ibid.). Quéré parle ici d’ « événements-objets » qui ont tendance à inciter l’opinion à chercher ce qu’il s’est passé exactement et comment. C’est ainsi que l’apparition simultanée de Mélenchon sous une forme inhabituelle constitue un événement-objet en communication politique.

Contrairement au meeting de Marine Le Pen tenu le même jour et à la même ville (Lyon), qui n’avait rien d’inhabituel dans la forme, le candidat de la « France insoumise » a pu simuler une présence physique simultanée à Lyon et à Paris. Et plus tard, cette technique lui a permis d’apparaitre simultanément dans sept endroits différents. Nous parlons ici d’un « multi-meeting en hologramme »[3].

Dans un climat de concurrence entre candidats de tout bord, l’objectif derrière l’usage de cette technique par Jean-Luc Mélenchon serait de capter l’attention du plus grand nombre de personnes pour leur présenter son programme politique. Mais au plan communicationnel, cette technique remplit-elle les critères d’une interaction idéale que sont la présence des interactants et une communication bidirectionnelle synchrone ? Sinon, s’agit-il juste d’une stratégie visant à émouvoir l’audience par son caractère innovant ?

Pour tenter de répondre à ces interrogations, il importe de déterminer le type de rapports établi entre les foules et le meneur de foules par le biais de l’ « hologramme », ainsi que les effets communicationnels de cette technique, notamment dans un contexte électoral français. Nous adoptons dans notre démarche le principe des zones anthropiques dans le sens de François Rastier (2001). Ceci nous permettra de situer dans un espace cognitif les éléments impliqués dans une situation de communication par le biais de l’ « hologramme », comparé à d’autres techniques employées par un meneur de foules à des fins de promotion.

I.C. Les zones anthropiques et l'hologramme de Mélenchon

Rastier (2001) présente le rapport entre l’individu et son entour comme une des formes que prend le couplage entre l’organisme avec l’environnement. Nous proposons ici que ce processus se manifeste sous forme d’actions et/ou de réactions exprimées par un ensemble de signes, grâce auxquels chaque sujet perçoit son environnement selon sa vision du monde, forgée par son expérience individuelle et/ou collective. Ce processus se réalise au moyen d’outils transmetteurs situés aux frontières de trois zones anthropiques illustrées ci-après (figure 2).

 

[Figure 2] Les zones anthropiques (Rastier, 2001)

Les outils technologiques se situent souvent à la frontière empirique entre la zone identitaire et la zone proximale. La première situe le sujet communicant par rapport à ses interlocuteurs ou bien des sujets communicants (une foule) par rapport à un seul interlocuteur (meneur de foules) situé dans la seconde. La communication entre les différents acteurs est possible par le biais d’objets culturels ; il peut s’agir d'ordinateurs ou de smartphones (fétiches) donnant accès à des plateformes d’interaction bidirectionnelle (rarement unidirectionnelle), synchrone et/ou asynchrone. Au-delà des zones identitaire et proximale, la zone distale abrite les entités absentes, mais représentées par des idoles situées à la frontière transcendante. Ce qui fait que les zones identitaire et proximale sont perçues dans le monde obvie, alors que la zone distale appartient au monde absent.

Rastier décrit ces zones d’un point de vue sémiotique, dans le but de rendre compte des couplages communicationnels exprimés par l’usage des langues, qui servent à désigner les présents et les absents par l’opposition entre (je/tu/nous) et (il/on/ça), entre (ici/là) d’une part et (là-bas/ailleurs) d’autre part. En termes de temporalité, ces zones opposent le présent au passé ou au futur ; et au plan modal le « certain » s’oppose au « possible ». Ces types d’oppositions sont décrites comme des ruptures catégorielles. Celles qui intéressent notre recherche concernent surtout les ruptures personnelle (comment chacun perçoit l’autre), locale (la présence ou pas des interactants) et temporelle (la communication synchrone ou asynchrone).

Nous présentons ci-après un aperçu de trois canaux de communication, dans le but de comparer leur efficacité dans une interaction entre un meneur de foules et son audience. Nous associerons en ce sens le simulacre de conversation à la télévision, le simulacre de proximité au web social, puis le simulacre de présence physique à l’usage de l’ « hologramme ». Nous illustrons chaque technique dans des schémas inspirés de celui en figure 2, tout en ajoutant des flèches pour indiquer le sens de transmission des signes entre les acteurs que nous situons dans ces zones anthropiques.

II. Trois modes d’interaction technologisée

II.A. Le simulacre de conversation

Depuis l'époque cathodique, les personnalités publiques tentent de gommer la frontière entre la zone identitaire et la zone proximale en simulant une relation de proximité avec l'audience. Ce processus rappelle l'expression relation para-sociale ou interaction para-sociale qu’emploient Horton et Wohl (1956, p.215-217) pour désigner une relation entre un présentateur vedette dans un programme télévisé et des téléspectateurs. Sauf que ce type d’interaction diffère d’une relation sociale tangible ou plutôt relation ortho-social (ibid.). Ceci est dû au fait qu’une relation para-social est établie par une communication unidirectionnelle contrôlée par le locuteur, alors que l’audience reçoit passivement les messages émis de l’autre côté de l’écran d’un téléviseur. Il s’agit à ce stade d’un simulacre de conversation présenté en figure 3. Celui-ci peut également être perçu par le biais d’une transmission radiophonique. 

 

 [Figure 3] Frontière entre zone identitaire et zone proximale en simulacre de conversation

II.B. Le simulacre de proximité

La volonté de gommer la frontière empirique entre la zone identitaire et la zone proximale peut se concrétiser au moyen de prothèses technologiques (Perea, 2016) que représentent les outils de communication numérique. Celles-ci donnent l’impression à l’individu qu’elles font partie de son corps, lorsqu'il interagit avec son entourage, car elles deviennent primordiales à l’ère du web social. Ces prothèses technologiques ouvrent la voie à une communication bidirectionnelle synchrone ou asynchrone (figure 4). C’est ainsi que l’audience passive devient une audience participative (Livingstone, 2013) souvent présente sous forme de communauté techno-discursive (Paveau, 2013), dans la zone identitaire et partageant une même interface numérique avec des locuteurs pouvant être des personnalités politiques, des célébrités du monde du spectacle, des influenceurs, etc. Ceux-ci sont souvent situés (à ce stade) dans la zone proximale.

 

[Figure 4] Frontière entre zone identitaire et zone proximale en simulacre de proximité

En revanche, nous constatons que les frontières entre les deux zones peuvent paraître gommées (figure 5) par un simulacre de proximité (Yanoshevsky, 2011), qui contribuerait à réduire l'effet de surplomb souvent ressenti entre un dirigeant et ses administrés. 

 

[Figure 5] Fusion entre zone identitaire et zones proximale en simulacre de proximité

L'outil perçu par certains comme une prothèse technologique peut contribuer à cette tâche. Pour ce qui est de la communication politique, la publication des messages écrits sur les réseaux sociaux relève des tâches des Community Managers de l'institution qu’incarne les personnalités politiques. D’ailleurs, Emmanuelle Macron affirme, lors d’une interview avec le Time Magazine, le 7 novembre 2017, qu’il ne tweete jamais lui-même et qu’il ne suit aucun compte lui-même sur les réseaux sociaux. Selon lui, l’utilisation de ce réseau « n’est pas compatible avec la distance nécessaire pour gouverner et présider[4] ». En même temps, ce simulacre de proximité peut se révéler inefficace et banal après avoir été une tendance dans le cadre de la peopolisation des personnalités politiques. Si c’est le cas, existerait-il une alternative à une présence physique plus efficace qu’un simulacre de proximité ?

II.C. Le simulacre de présence physique

Nous constatons dans la vidéo du meeting holographique de Mélenchon, que la présence physique de celui-ci à Lyon a permis une interaction directe avec l’audience, alors que son simulacre de présence simultanée à Paris n’a pas permis cette interaction. Ce simulacre se réalise verbalement par l’énoncé « et maintenant à Paris ! », lorsque Mélenchon déclenche l’ « hologramme » à Paris d’un claquement de doigt à partir de Lyon. Cette technique est accompagnée d’une mise en scène qui consiste à prendre des documents d’une table installée à Lyon et dupliqué à Paris. Quant au simulacre d’interaction, il est perçu par le contenu du discours de Mélenchon et par le signe de la main saluant l’audience à Lyon, dupliqué aussi par son hologramme à Paris.

Ces éléments laissent constater que cette technique rend la frontière physique transparente entre le meneur de foules et l’audience, sans pour autant partager un même espace physique. Par conséquent, le politique peut être perçu à la fois comme présent (situé dans la zone proximale voire identitaire sans aucun objet physique apparent le séparant de son publique) et comme absent situé physiquement au-delà de la zone proximale sans être perçu dans la zone distale, puisqu’il appartient toujours au monde obvie. Cette position instable place la représentation du corps du politique entre la zone identitaire et la zone distale dans ce que Rastier (2001) décrit comme une « frontière extatique » (figure 6), c’est-à-dire celle qui a le caractère de l’extase. L’instance placée dans cette frontière déclenche ainsi un état de joie, d’admiration et de jouissance extrême qui absorbe tout autre sentiment (Larousse, 2021).

[Figure 6] La frontière extatique en simulacre de présence physique

Dans ce sens, la personnalité politique devient une idole qui représente une institution, une idéologie, un culte, comme un chanteur qui représente un style de musique qu’on peut appeler « le roi du Reggae » ou « le roi de la Pop », etc. Quant aux foules électorales, elles réagissent comme des fans devant leur idole.

III. La réception de l’hologramme de Mélenchon

L’étude des phénomènes sociaux va de pair avec celle des peuples chez lesquels ils se sont produits (Le Bon, 1895, p. III). Dans un contexte électoral français, le coût de l’hologramme inférieur à celui d’un déplacement physique permet de présenter Jean-Luc Mélenchon comme un exemple sur une scène politique où l’affaire Bygmalion[5] s’invite souvent durant les échéances électorales. Il n’empêche que les avis concernant cet événement sont mitigés auprès de l’audience.

Lors du visionnage de la vidéo du meeting de Lyon et Paris[6] ,  il devient évident que c’est l’effet de surprise qui semble primer. La rareté de cette pratique crée l’« effet waouh » qui désigne en marketing[7] l’effet d'admiration ou d'appréciation qu'un produit, un service, une expérience ou une campagne publicitaire peut déclencher chez les consommateurs. Cette réaction qui s’exprime souvent par l’expression « waouh! » est obtenue grâce à une caractéristique forte et innovante du produit ou service, à un message ou un format publicitaire particulièrement impactant, ou bien à une théâtralisation d’un point de vente particulièrement spectaculaire. Le politique devient ainsi un produit et les techniques de call to action sont appliquées sur les votants considérés comme des consommateurs potentiels d’une offre politique.

Même si la presse parle du caractère bluffant[8] de l’hologramme de Jean-Luc Mélenchon, qui va dans le sens des commentaires de l’audience postés plus ou moins à chaud après la prestation, d’autres plus récents estiment que cette technique relève de la mise en scène et qu’elle reflète le caractère illusoire du programme de Mélenchon pour diriger le pays.

[Figure 7] Commentaires positifs Youtube sur de la vidéo de Jean-Luc Mélenchon

< https://www.youtube.com/watch?v=EyB-NHspN-E>

[Figure 8] Commentaires Youtube sur de la vidéo de Jean-Luc Mélenchon

< https://www.youtube.com/watch?v=EyB-NHspN-E>

Dans cette optique, certains médias considèrent que la technique employée par Mélenchon est un « faux hologramme » tout en illustrant un vrai hologramme par une infographie[9]. Mais la démonstration de ce média affirme que la technique qui a permis à Mélenchon de simuler sa présence physique coute moins cher qu’un vrai hologramme.

De ce fait, cette technique a non seulement pu créer un « effet waouh » auprès de l’audience, mais elle a aussi démontré que le candidat de la France insoumise veille à limiter les frais afférents à ses déplacements lors de sa campagne électorale. En revanche, cette technique ne permet pas une communication bidirectionnelle synchrone.

Conclusion

Cette technique appelée « hologramme »[10]  peut rendre la personnalité omniprésente au moment de l’énonciation ou après (communication synchrone ou asynchrone). Par ailleurs, ce mode de communication peut ne pas mettre le dirigeant politique au même niveau que l'audience. Dans tous les cas, les citoyens de plus en plus avisés se rendent de plus en plus compte que le simulacre de proximité entre dans le cadre d'une stratégie de communication digitale. Comme le fait remarquer le Bon : « si les électeurs dont la majorité est composée d’ouvriers et de paysans, choisissent si rarement un des leurs pour les représenter, c’est que les personnalités sorties de leurs rangs n’ont pour eux aucun prestige. » (1905, p.162). Par conséquent, l’ « hologramme » présente le politique dans une position plus traditionnelle selon la perception d'une relation entre dirigeants et dirigé. Il n’empêche qu’une foule électorale est hétérogène d’un point de vue intellectuel et/ou culturel (Bourdieu, 1996). En revanche, les individus sont influencés par leur perception des opinions dominantes et peuvent choisir de se taire s'ils croient que leurs opinions sont minoritaires, mais cela ne signifie pas qu'ils sont irrationnels ou facilement manipulables (Noelle-Neumann,1984).

A ce stade de cette recherche, nous proposons que l' « hologramme » a réussi à représenter un corps physique au-delà d'une prothèse technologique. Ajouté à cela, le locuteur représenté est le seul à avoir le pouvoir de simuler une omniprésence au moment de l'énonciation. La maîtrise de cette technique avec des mises en scène donnant plus de réalisme a tendance à accroître ce pouvoir. 

Le simulacre de présence physique peut aussi simuler un sentiment de bienveillance d’une personnalité politique sur des audiences se sentant exclues, dans des régions défavorisées (comme la France d’outre-mer).

En même temps, cette technique requiert des paramétrages, sans lesquels cette scénarisation devient techniquement impossible. Ce qui la rend difficilement réalisable pour le moment et difficilement accessible, vu la rareté de ses fournisseurs. Cela s’ajoute au fait que la communication entre les interlocuteurs n’est pas bidirectionnelle pour le moment, même si la technique de l’ « hologramme » peut être exploité pour un événement synchrone (voir figure 7).

 

Tableau1. Critères d’interaction par technique de communication

 De ce fait, les stratégies de communication adoptées par les politiques devraient être multimodales, mettant en œuvre des techniques simulant une proximité et une présence. Il est aussi primordial que la communication verbale soit bidirectionnelle, synchrone ou au moins asynchrone.

Cette étude peut démontrer que le simulacre de présence peut se révéler efficace à court terme, lorsqu’il s’agit de créer l’ « effet waouh » par son caractère innovant pour le moment. Quant au simulacre de proximité, il parvient à établir une communication bidirectionnelle, même si elle n’est pas tout le temps synchrone sur les réseaux sociaux. Pour ce qui est de la présence physique, elle démontre l'attention que porte le meneur de foule pour une population et donne l'impression que celui-ci n'est pas enfermé dans sa tour d'ivoire.

Tant que le corps physique ne peut pas être omniprésent à un même moment, il serait nécessaire d’employer des techniques d’interaction alternatives. Celle qui parait efficace en ce sens demeure le simulacre de proximité par le biais du web social, car ce médium permet aux services de la communication d’analyser, au moyen d’outils spécifiques, les commentaires des utilisateurs/scripteurs et d’élaborer un discours politique sur mesure.

Il reste à observer à ce stade les techniques employées lors de la campagne présidentielle de 2022. Pour l’instant, nous assistons à des « Lives présidentiels » sur les réseaux sociaux, diffusés en direct sur des chaînes télévisées[11], chose qui conforte notre postulat sur le rôle majeur que joue le web social dans la communication politique.

Malgré la tendance haussière des électeurs en faveurs de Mélenchon par rapport à l’élection présidentielle de 2012, il serait imprudent de l’interpréter comme une conséquence directe de l’usage de l’ « hologramme » en 2017. Mais il est bien évident que Mélenchon cherche à créer l’ « effet waouh », lorsqu’il organise durant sa campagne présidentielle de 2022 des meetings immersifs et olfactifs. Cette scénographie lui permet de gommer la frontière entre la zone identitaire et la zone proximale, en s’entourant avec son public d’écrans diffusant des images illustrant ses propos et des odeurs suscitant la curiosité du public, car difficile à identifier. L’avenir nous dira si le candidat Mélenchon réussit à obtenir la majorité des voix électorales, grâce à cette tendance à vouloir créer l’évènement, au moyen de techniques innovantes utilisées principalement dans le monde du spectacle[12].

 

Références bibliographiques

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Sitographie

GAUBE, E. (2017). « INFOGRAPHIE - POURQUOI MÉLENCHON EXAGÈRE AVEC SON HOLOGRAMME ». Bfmtv.com, mis en ligne le 10 avril 2017. Disponible sur : . Consulté le 04.02.2021.

HUSSON, L. & ACHOUR, H. (2017, 18 avril). Adrenaline Studio, la société de production derrière l’hologramme de Mélenchon. Challenges. https://www.challenges.fr/election-presidentielle-2017/adrenaline-studio-la-societe-de-production-qui-se-cache-derriere-l-hologramme-de-melenchon_467400

LEFAS, P. & VA BENEDEN, E. (2022). « Nous appelons les candidats à la présidentielle à publier en temps réel leurs comptes de campagne », mis en ligne le 13 janvier 2022. Disponible sur : < https://www.lemonde.fr/idees/article/2022/01/13/nous-appelons-les-candidats-a-la-presidentielle-a-publier-en-temps-reel-leurs-comptes-de-campagne_6109261_3232.html>. Consulté le 02.02.2021.

Le Parisien. (16 janvier 2022). « Au meeting immersif et olfactif de Jean-Luc Mélenchon : "Les odeurs étaient étranges" ». [YouTube]. . Consulté le 02.02.2022.

« L'hologramme bluffant de Jean-Luc Mélenchon ». Lepoint.fr, mis en ligne le 5 février 2017. Disponible sur : . Consulté le 02.04.2021.

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« MUSION 3D HOLOGRAPHIC PROJECTION USED IN FRENCH ELECTIONS : 8 Northumberland Avenue built in Holographic projection technology, Musion 3D is used in the French elections to great effect ». 8northumberland.co.uk. Technology ,Musion ,3D Holographic Projection. Disponible sur : . Consulté le 03.03.2021.

PLANCHARD, C. (2017, 9 novembre). VIDEO. « Je ne tweete pas moi-même » : A la Une du « Time » , Emmanuel Macron égratigne (gentiment) Donald Trump. www.20minutes.fr. . Consulté le 05.06.2020.

« Présidentielle 2022 : Jean-Luc Mélenchon en Live instagram ce mercredi à 18h30 sur @TF1Info ». Tf1info.fr, mis en ligne le 12 janvier 2022. Disponible sur : < https://www.lci.fr/politique/presidentielle-2022-jean-luc-melenchon-en-live-instagram-et-facebook-ce-mercredi-a-18h30-sur-tf1info-2206915.html>. Consulté le 02.02.2022.

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« Résultats de l'élection présidentielle 2017 ». Interieur.gouv.fr. Disponible sur : . Consulté le 04.04.2021.

Liste des illustrations

[Figure 1] Jean-Mélenchon annonce un meeting holographique (17.01.2017)

[Figure 2] Les zones anthropiques (Rastier, 2001)

[Figure 3] Frontière entre zone identitaire et zone proximale en simulacre de conversation

[Figure 4] Frontière entre zone identitaire et zone proximale en simulacre de proximité

[Figure 5] Fusion entre zone identitaire et zones proximale en simulacre de proximité

[Figure 6] La frontière extatique en simulacre de présence physique

[Figure 7] Commentaires positifs Youtube sur de la vidéo de Jean-Luc Mélenchon

< https://www.youtube.com/watch?v=EyB-NHspN-E>

[Figure 8] Commentaires Youtube sur de la vidéo de Jean-Luc Mélenchon

< https://www.youtube.com/watch?v=EyB-NHspN-E>

[Tableau 1] Critères d’interaction par technique de communication

 

[1] Ces deux apparitions ayant été enregistrées au préalable, le meeting holographique de Mélenchon en synchrone constitue une première sur la scène politique mondiale

[3] Physiquement à Dijon et numériquement à Nancy, Nantes, Clermont-Ferrand, Grenoble, Montpellier et Le Port (La Réunion). https://melenchon.fr/2017/04/19/multi-meeting-hologramme/melenchon-multimeeting/

[4] C., planchard (2017, 9 novembre). VIDEO. « Je ne tweete pas moi-même » : A la Une du « Time » , Emmanuel Macron égratigne (gentiment) Donald Trump. www.20minutes.fr. https://www.20minutes.fr/monde/2166387-20171109-video-tweete-time-emmanuel-macron-egratigne-gentiment-donald-trump

[6] Public Sénat. (2017, 5 février). Jean-Luc Mélenchon se dédouble en hologramme à Paris [Vidéo]. YouTube. https://www.youtube.com/watch?v=EyB-NHspN-E

[7] G., bressolles & F., durrieu (2011). "Les sources du « waouh effect » en ligne : le cas de la satisfaction des clients des sites de réservation d'hôtels". Revue française du marketing, 238(2/3), 69-82.

[8] Medias. (2017, 5 février). L’hologramme bluffant de Jean-Luc Mélenchon. Le Point. https://www.lepoint.fr/presidentielle/l-hologramme-bluffant-de-jean-luc-melenchon-05-02-2017-2102605_3121.php

[9] E., gaube (2017, 10 avril). INFOGRAPHIE - Pourquoi Mélenchon exagère avec son hologramme. BFMTV. https://www.bfmtv.com/sciences/infographie-pourquoi-melenchon-exagere-avec-son-hologramme_AN-201704100061.html

[10]L., husson & H., achour (2017, 18 avril). Adrenaline Studio, la société de production derrière l’hologramme de Mélenchon. Challenges. https://www.challenges.fr/election-presidentielle-2017/adrenaline-studio-la-societe-de-production-qui-se-cache-derriere-l-hologramme-de-melenchon_467400

 

[11] https://www.lci.fr/politique/presidentielle-2022-jean-luc-melenchon-en-live-instagram-et-facebook-ce-mercredi-a-18h30-sur-tf1info-2206915.html

[12] https://www.youtube.com/watch?v=xnq-99jVRLI

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