Les médias ont toujours été des systèmes complexes et controversés. Des grottes de Lascaux aux réseaux numériques, des tablettes d’argile sumériennes à la Toile, ils constituent à la fois le paysage et le langage de l’être humain : le territoire symbolique que nous habitons et la parole au moyen de laquelle nous nous exprimons. Selon les témoignages provenant de maints champs disciplinaires, où se distinguent les noms de Martin Heidegger, d’Edgar Morin et de Marshall McLuhan[1], ce ne sont pas des outils neutres mais des dispositifs qui, tandis que nous les développons, les diffusons et les consommons, nous façonnent à leur tour. L’histoire nous enseigne que nous devenons en effet les créatures des systèmes techniques et communicationnels que nous avons engendrés[2] : le rapport que nous entretenons avec eux ne répond pas à un principe monocausal et unidirectionnel mais au contraire à une dynamique fondée sur une réversibilité constante, un va-et-vient ou, pour reprendre une expression chère à Gilbert Durand, un trajet anthropologique[3].
L’avènement de la culture numérique, la prolifération du système des objets, la diffusion massive des réseaux sociaux, des appareils portables, des écrans et de tous les mediascapes ajoutent autant de nouveaux éléments et de reflets au tableau que nous venons d’esquisser. En particulier, la médiatisation du monde et la mondialisation des médias, avec le lot d’accidents, de confusions et de convulsions qu’elles comportent, imposent avec urgence de définir les modalités actuelles de l’interaction entre communication et vie quotidienne, objets et sujets, technique et culture, mais aussi d’appréhender d’éventuels dysfonctionnements et l’apparition de formes différentes de celle que nous connaissions et de celle à laquelle nous nous attendions. Les médias ont-ils tenu les promesses de leurs prémisses ou au contraire trahi leur mission ? Leur miroir s’est-il brisé ?
S’il est un texte d’anthropologie culturelle, de médiologie et de sociologie de l’imaginaire qu’il convient d’examiner pour répondre à ces questions fondamentales, c’est bien Black Mirror[4]. La série télévisée britannique écrite par Charlie Brooker pour Endemol nous plonge même dans les abîmes les plus sombres et les plus morbides de cette problématique. Son propos s’affiche du reste dès son logo, un miroir noir fendu, fil conducteur de son parcours diégétique et puissante métaphore de notre condition technoculturelle. De lugubres prémonitions, aussi lucides que visionnaires, représentent la société du futur et retranscrivent de manière paroxystique ce que nous vivons déjà sur notre peau[5] – ou sous notre peau. La dystopie au cœur de notre quotidien. La série recourt à ce type de science-fiction réaliste, plus réelle que la réalité, qui fait les chefs-d’œuvre. Une science-fiction catastrophique, selon la règle d’or du genre.
Quelle est donc cette catastrophe qui nous concerne, où nous sommes tous objets et sujets, victimes et bourreaux ? Et quelles marges d’existence subsistent parmi les amas de ruines spectaculaires qui nous cernent ? Avons-nous vraiment atteint, pour paraphraser Francis Fukuyama[6], la fin de l’histoire ?
Après les horreurs et les traumatismes de la Seconde Guerre mondiale, on a cru que l’humanité pourrait se relever et renaître de ses cendres. Or le pli qu’elle a pris dans ces circonstances et les plaies creusées par les bombes, les camps de concentration et tous les génocides perpétrés par les nations belligérantes se définissent au contraire par leur caractère irrémédiable. C’est ce que suggère chaque épisode de Black Mirror, qui enquête sur leur actualité après le conflit. Et même, telle une spirale, les effets de ce dernier ne peuvent que continuer à se contorsionner et à raviver, avec des modulations inexplorées, la douleur qu’ils charrient. Tout bonheur est absent de ce monde, si l’on exclut de rares fulgurances de plaisir illusoire. Que reste-t-il alors de notre humanité ? De notre expérience ? L’avenir nous réserve-t-il encore une lueur d’espoir ?
Traumatismes. The Entire History of You
Une enquête généalogique permet de dénuder les racines de Black Mirror, dont les surfaces nous renvoient sous forme d’éclats lumineux les reflets de notre quotidien – de lendemains déjà actuels.
Tout a commencé pendant la seconde moitié du XVIIIe siècle, lorsque la révolution industrielle et l’urbanisation qui en a découlé ont jeté dans les métropoles européennes naissantes des milliers d’individus arrachés à leur terre natale. Dans un état de choc et de dépaysement[7], ces masses ont perdu à jamais la faculté de vivre la réalité – le monde des objets et leurs semblables – par contact direct, hic et nunc. En ce sens, le passage de la communauté à la société[8] a avant tout exercé sa coercition sur le corps collectif, de même que l’avènement de l’écriture alphabétique puis de l’impression de masse avaient auparavant infligé – de façon analogue, selon Marshall McLuhan – une blessure à l’être humain et à la vie collective[9].
Les communications de masse, la métropole de béton, de fer et de verre, puis l’industrie culturelle, agents d’une artificialisation généralisée du monde, constituent à la fois la cure, la sublimation et la version extrême de ces traumatismes, leur concrétion en système. À bien y regarder, l’épisode pilote secret de Black Mirror commence exactement dans ces décors : parmi les ruelles lugubres de Londres, Berlin et Paris, où la prostitution exprime avec une crudité ostentatoire la réification de l’existence préparée dans les chantiers proto-industriels ; aux terrasses des cafés, où la vie sociale s’entraîne à se faire mise en scène[10] ; parmi les vitrines des passages, où le flâneur compense son aliénation dans le rutilement de marchandises spectaculaires[11]. Ce n’est pas un hasard si des personnages grotesques ou horribles issus des entrailles de l’imaginaire ont proliféré à l’époque, tels Jack l’Éventreur, les vampires, les tueurs en série et d’autres monstres effrayants[12] incarnant le malaise de la modernité, son ombre sinistre et en même temps fascinante.
Les protagonistes de Black Mirror, dernières fleurs maudites des jungles modernes, entre spectacle de variétés et littérature, traduisent ces fantômes en vie quotidienne ; ces derniers acquièrent ainsi l’apparence d’êtres humains dans leur interpénétration définitive avec la technique, c’est-à-dire au moment où celle-ci prévaut sur le sujet, faisant de lui l’un de ses objets. Ils sont le cauchemar actualisé en expérience ordinaire, dans une mesure directement proportionnelle à la façon dont l’industrie culturelle s’approche des interstices du vécu et s’insinue, par le biais de technologies de plus en plus domestiques, portables, omniprésentes[13] et personnelles, de la place publique à la cellule familiale, jusqu’à pénétrer le corps de l’usager et du fan. Tout ce qui peuplait auparavant notre imaginaire collectif s’est objectivé[14], transplanté dans notre peau collective et personnelle, nous muant en autant de cyborgs, sans que des mutations – particulièrement éclatantes soient désormais nécessaires.
Matt – Quoi, vous ne vous souvenez pas des photocopieuses ? Vous savez ce que c’est ?
Greta – Quoi ?
M. – Vous savez ce que c’est, une copie ?
G. – Quoi, une copie de quelque chose ? Bien sûr que je sais ce que c’est.
M. – Eh bien, c’est ce que vous êtes.
G. – Une copie ? De quoi ?
M. – Une copie de vous.
G. – Mais je suis moi !
M. – Bon. Essayez de souffler sur mon visage. Vous ne pouvez pas, parce que vous n’avez pas de corps. Où sont vos doigts ? Vos bras ? Votre visage ? Nulle part. Vous n’êtes qu’un programme. Un cerveau artificiel. Une série de codes enregistrés dans ce petit gadget électronique qu’on appelle un mouchard.
G. – Pourquoi vous m’avez fait ça ?
M. – Eh bien en fait, ça vient de vous. C’est votre vrai moi qui paie pour ça.
G. – Je ne comprends pas.
M. – Vous voyez, tout ceci fait partie d’un service. On prend un mouchard vierge. Et on l’implante dans le cerveau d’un client. Il reste là, sous la peau, pendant une semaine, en espion. En train d’absorber le fonctionnement de ce cerveau particulier. C’est pour ça que vous vous prenez pour votre vrai moi. Vous l’êtes, mais vous ne l’êtes pas. Bon, ça fait beaucoup de choses à intégrer. Même pour un microprocesseur[15].
Plutôt que de recourir au champ sémantique de la réalité augmentée pour décrire la condition contemporaine, il conviendrait de mobiliser celui de l’irréalité augmentée ! De façon totalement inattendue, nous assistons en effet à l’inversion de la hiérarchie et de l’équilibre entre matériel et immatériel en faveur de ce dernier, au point de bouleverser la théorie marxiste sur la structure et la superstructure[16] : aujourd’hui plus que jamais, pensée, imagination et langage précèdent la vie matérielle[17] et la façonnent à leur image. À y regarder de plus près, si l’imaginaire collectif – ou, mieux encore, connectif – triomphe du principe de réalité[18], alors les médias sont le territoire privilégié de l’être-là[19], d’où découle tant notre identité la plus profonde, une identité médiatique, que notre expérience, notre vie ordinaire – ou plutôt extraordinaire. L’histoire de Danny et Karl (E1S5) est à cet égard révélatrice : ce n’est que grâce à un jeu vidéo en ligne, Striking Vipers X, qu’ils assument leur homosexualité – dans l’écran et en jouant. C’est là où, en luttant par avatars interposés, qu’ils finissent par s’aimer, en induisant un conflit et du désordre entre la condition matérielle et médiatique de leur existence.
En tant que machine de l’inconscient, dispositif conçu pour capter les fluctuations de l’imaginaire et les translater en flux audiovisuels avant même que les sujets dont elles sont issues soient en mesure de les reconnaître, nommer et entendre, Black Mirror est le cauchemar le plus actuel de l’époque contemporaine, une anticipation phénoménale et phénoménologique de notre actualité. La série nous livre notre histoire tout entière, comme l’explicite le titre de l’épisode écrit par Jesse Armstrong (The Entire History of You, Retour sur image, E3S1).
Au-delà des annonces grandiloquentes diffusées avec un enthousiasme ingénu et captieux par les protagonistes du social media marketing et autres bonimenteurs de la société dite de l’information, de l’économie de l’immatériel et du capitalisme néolibéral, cette histoire, parallèlement aux récits des réseaux sociaux, n’est pas tant l’émanation directe de nos vies, elle est même, au fond, sa contradiction définitive, car elle ne dépend ni ne procède du sujet narrant maître de soi et possesseur de la nature issu de la tradition humaniste[20]. Poussant à l’extrême la confession utilisée par le christianisme puis par les sciences modernes pour modeler les consciences et normaliser les coutumes[21], le réseau et ses multiples avatars nous incitent à notre insu à nous dépouiller de notre individualité et à l’extérioriser, à rendre publique notre vie, pour ensuite nous enserrer dans leurs mailles et nous traduire en données entièrement mises à la disposition des algorithmes[22], des intelligences artificielles, des entreprises et d’autres altérités technosociales.
Fiona – Tout ce qui est faux n’est pas nécessairement un mensonge, Liam[23].
Terrorisme psychologique et euphorie nihiliste
Pendant des siècles, nous autres Occidentaux, nous avons agi sur le temps et sur l’espace à partir du sujet afin d’orchestrer le monde à notre guise. Or nous nous livrons désormais à une raison qui nous précède et nous dépasse. Elle nous oublie, en quelque sorte, nous a échappé des mains et semble conspirer, avec notre complicité, contre l’homme moderne[24]. Black Mirror est en ce sens le procès le plus impitoyable intenté aux tumultes post-humanistes, post-modernes et post-historiques qui sont en train d’ébranler l’ordre et les utopies cultivées depuis la Florence du XVIe siècle jusqu’au Paris du XIXe siècle. Sa méthode, comme c’est le cas pour le troll de Shut Up And Dance (Tais-toi et danse, E3S3), la tablette espion de Marie dans Arkangel (Archange, E2S4) ou l’appareil indiscret qui permet de passer en revue les souvenirs des gens dans Crocodile (E3S4), est le terrorisme psychologique. Chaque épisode est une bombe lancée contre notre existence apparemment normale, un dispositif visant à semer panique et angoisse au cœur du quotidien et de ce qui est pour nous l’écoulement ordinaire du temps.
De même que les avant-gardes artistiques du XXe siècle, des dadaïstes aux situationnistes en passant par les futuristes, ont tiré parti du choc[25] pour réveiller les consciences embrumées des masses en les poussant à se rebeller par le biais de l’auto-négation et à se reconnaître comme aliénées avant de s’affranchir de cet état[26], les œuvres, les produits et les bombes à retardement que nous tentons ici de reconnaître visent à déstabiliser la linéarité de notre vécu, à exhumer son fond obscur pour nous effrayer, dans un premier temps, puis nous désorienter, afin que nous revenions sur nos pas et retrouvions, avec notre autonomie individuelle, notre humanité.
Tel est leur objectif politique, une sorte de manifeste : interrompre la fête des consommations et des communications, l’orgie des réseaux sociaux et la danse avec les machines, sauver l’individu et lui rendre la souveraineté du moi, du monde et de l’histoire. C’est en effet ainsi que se déploie un projet humaniste, peut-être trop humain...
Greta – Remettez-moi dans mon corps !
Matt – C’est là que vit votre vrai moi. Mais on va quand même vous donner un corps artificiel. Nous trouvons que ça aide parfois. Vous êtes prête ?
G. – Quoi ? Je ne comprends pas !
M. – Trois, deux, un. Hé. C’est mieux comme ça ?
G. – C’est mon corps[27].
La situation culturelle contemporaine n’est pas seulement le fruit de la maturation de processus inaugurés il y a des lustres, comme nous venons de l’indiquer. L’un des aspects qui la rendent plus épineuse et complexe est le renversement de tendance par rapport aux dynamiques à l’œuvre jusqu’à présent entre la réalité et les médias. Ainsi que l’avait anticipé Baudrillard[28] dans plusieurs annotations de la pensée de McLuhan[29], nous avons atteint un stade où ces derniers ont cessé d’être une extension de l’être humain, comme c’était le cas dans le contexte analysé par le génie canadien, pour devenir leur présupposé.
La vérité des media de masse est donc celle-ci : ils ont pour fonction de neutraliser le caractère vécu, unique, événementiel du monde, pour substituer un univers multiple de média homogènes les uns aux autres en tant que tels, se signifiant l’un l’autre et renvoyant les uns aux autres[30].
En définitive, après une longue période où la technique a accueilli l’élan de l’humanisme en jouant tendanciellement le rôle d’instrument à sa disposition, nous nous trouvons à l’heure actuelle dans une autre configuration qui se pose en système intégral et intelligent d’énergies, d’algorithmes et de dispositifs, si puissante que c’est désormais nous qui dérivons d’elle.
L’auteur de la fameuse formule révélatrice « le médium est le message » n’ignorait néanmoins pas cette dérive : « En nous soumettant sans relâche aux technologies, nous en devenons des servomécanismes. Voilà pourquoi nous devons, si nous tenons à utiliser ces objets, ces prolongements de nous-mêmes, les servir comme des dieux, les respecter comme des sortes de religions[31]. »
L’effet pervers en question, véritable contenu des angoisses et des malaises évoqués par la série anglaise, de The National Anthem (L’Hymne national, E1S1) à Black Museum (E6S4) en passant par White Christmas (Blanc comme neige, 2014), a de multiples conséquences radicales sur notre façon d’être humains : il implique un décentrement général, un recul, voire une soumission de l’individu aux paysages médiatiques et à leurs déclinaisons. C’est sans doute ce qui nous trouble le plus lorsque nous visionnons, avec autant d’avidité que d’effroi, les divers épisodes de la saga : la disparition du sujet moderne, comme si chaque mort, chaque asservissement et chaque humiliation des protagonistes qui se succèdent dans les visions de Brooker préfiguraient de façon exacerbée et anticipatrice notre destin à court terme, car quelque chose en eux nous renvoie toujours au marécage dans lequel nous nous enlisons déjà.
Comment un tel tableau peut-il nous ensorceler ? Pourquoi nous plaît-il ? Une analyse attentive suggère qu’une jouissance de ce type n’est pas simplement le fruit des facultés cathartiques des scénarios proposés par les auteurs, ni de l’attrait ancestral que l’ombre et le mal exercent sur le public. Au contraire, c’est sans doute en sombrant dans ces visions lugubres et en y réfléchissant que nous en tirons du plaisir, dans la mesure où nous décelons clairement en elles le malaise inéluctable de l’individu occidental[32], non tant au nom de vagues voluptés sadomasochistes que parce que nous ployons sous le fardeau de notre histoire ; nous avons renoncé à l’espoir depuis longtemps et caressons avec une secrète jubilation l’idée et la représentation de sa ruine, de notre ruine. On peut ici tenir des propos similaires à ceux de Baudrillard après l’attaque des tours jumelles du 11 septembre 2001 :
Les innombrables films-catastrophes témoignent de ce phantasme, qu’ils conjurent évidemment par l’image en noyant tout cela sous les effets spéciaux. Mais l’attraction universelle qu’ils exercent, à l’égal de la pornographie, montre que le passage à l’acte est toujours proche – la velléité de dénégation de tout système étant d’autant plus forte qu’il se rapproche de la perfection ou de la toute-puissance[33].
En se focalisant sur les détails du quotidien et sur le corps, Black Mirror concrétise de manière palpable et microphysique la catastrophe de notre monde, dont le désir résonne de façon plus ou moins latente dans l’imaginaire collectif. C’est une variante inédite de la pulsion controversée qui conduit une partie d’entre nous à être attirés par le spectacle mortifère du terrorisme ou par les dévastations des cataclysmes naturels et d’autres accidents mortels[34]. Charlie Brooker montre que la source de l’effondrement ne réside pas à l’extérieur de nous, ou plutôt que cet extérieur s’est infiltré dans la superficialité de notre chair et dans les profondeurs de notre inconscient, qu’il a été intériorisé : la technique. Ce constat provoque en nous de la frustration, mais aussi de l’angoisse et un sentiment d’impuissance, une perception d’un allégement de l’être[35] – en accord avec la légèreté qui sert d’ambiance émotionnelle, d’esprit, à notre relation aux produits de l’industrie culturelle : une sorte de soulagement inspiré par le fait de ne plus être en condition d’agir, de créer, de construire, d’accumuler, mais seulement d’être agis, consommés et objets de recréation / récréation[36].
L’éthique, l’esthétique et le public de Black Mirror dégagent en effet une euphorie nihiliste à la fois imposante et virale[37]. Une fois révolues les époques du désenchantement[38] et du réenchantement[39] du monde, une sorte d’enchantement du désenchantement est à l’œuvre, qui réactualise sous une nouvelle forme la contemplation du déclin déjà expérimenté par les modernes, par exemple dans la fascination qu’exercent les gravures de ruines par Piranèse, les éruptions volcaniques et autres cataclysmes représentés dans des tons sublimes.
Yorkie – Alors tu te sens pas mal ?
[Kelly ne sait que répondre.]
Y. – Peut-être que tu devrais te sentir mal. Ou du moins ressentir quelque chose.
[Elle se retourne et s’en va. Kelly est sur le point de pleurer. Elle se tourne vers le miroir et observe son reflet. Elle frappe de son poing la glace, qui se brise. Kelly regarde sa main. Il n’y a pas de sang. Elle se regarde dans le miroir, maintenant de nouveau intact[40].
Danser sur les ruines, ou Hang the DJ
Comme auparavant, les médias intègrent notre imaginaire de la réalité mais ils façonnent aussi notre expérience, aujourd’hui plus que jamais, faisant rayonner l’Andria de Calvino vers l’éther et traduisant les étoiles – puissante métaphore de ce qui est le plus éloigné de nous – dans la ville que nous habitons, en-deçà et au-delà de son enceinte. « Tout changement implique des changements en chaîne, à Andria comme parmi les étoiles : la ville et le ciel ne demeurent jamais pareils[41]. » C’est pour les mêmes raisons que le miroir auquel nous avons affaire est brisé : au moment où était en train de s’instaurer une parfaite équivalence entre la vie et les formes médiatiques, l’expérience et son extension technologique, le visible et l’invisible, le jouet s’est cassé, ou plutôt a manifesté qu’il n’était pas un dispositif à somme nulle, qu’il ne produisait ni formes symétriques, ni sons harmonieux.
À bien y regarder, les étoiles des Villes invisibles sont les fragments du miroir sur lequel s’ouvre chaque épisode de Black Mirror, substances, objets, images et sons qui sont tombés sur nous, se sont fichés dans notre chair. Distorsions, dissonances, scories, instruments, corps étrangers provenant de lieux exogènes voire d’une inquiétante altérité. Voilà qu’ils éblouissent notre inconscient, infiltrent l’imaginaire collectif, blessent et excitent notre chair. C’est aussi sur eux que nous tentons de nous tenir debout en dansant, en dansant sur les ruines.
Andria a été envahie, mais la fête n’est pas finie ! « Panic on the streets of London, Panic on the streets of Birmingham, I wonder to myself, Could life ever be sane again[42] ? », chantaient les Smiths dans une chanson de 1986 intitulée, comme par hasard, « Panic ». La réponse à cette question, érigée en titre d’un des épisodes les plus réussis de la série (Hang the DJ, Pendez le DJ, E4S4), résonne encore de nos jours et transpire de toutes les superpositions contemporaines, entre oppression, résistance et récréation : « Hang the DJ, Hang the DJ, Hang the DJ, Hang the DJ, Hang the DJ, Hang the DJ... »
Orgie permanente et liberté surveillée
Nous sommes tous en train de mourir, ou peut-être sommes-nous déjà morts, tandis que notre existence gonflée, augmentée, se dilate de façon invraisemblable par le biais de prothèses, de réseaux numériques, de banques de données, d’algorithmes et de technologies de connexion en mesure d’intégrer notre conscience[43], d’exacerber nos sensations et de réaliser nos fantasmes. Le message le plus black et le plus paradoxal, à la limite de l’oxymore, que nous livre à partir de 2015 la série produite par Netflix investit de manière extrême, en phase avec notre temps, l’étymologie du terme « exister », qui vient du latin ēx + sistentia : tirer sa vie d’un autre, extérieur à soi et au moi. En fait, « l’ek-sistence, selon la graphie qu’il suggère, consiste en une éjection, une expulsion ou un exil. L’ek-sistant n’est pas jeté hors d’un lieu par une volonté étrangère : son être consiste tout entier dans cet être-jeté[44]. »
Playtest (Phase d’essai, E2S3), 15 Million Merits (15 millions de mérites, E2S1), White Bear (La Chasse, E2S2) et d’autres essais de la saga – car il s’agit bien d’essais – nous exposent de la manière la plus obscène qui soit notre dépendance, asymétrique et déséquilibrée à notre détriment, vis-à-vis de l’altérité à laquelle nous sommes désormais constamment connectés. S’il est vrai que le monde est de plus en plus à notre disposition, à portée de clic ou de simple pensée, c’est que nous avons cédé au réseau et à ses dérivés la part la plus substantielle de nous-mêmes[45], que nous nous sommes livrés à ces mains invisibles avec une inconscience tendancieuse et généralisée. Au fond, les problèmes induits par les big data, le social profiling, les algorithmes et l’intelligence artificielle – en termes de subordination, de contrôle et de manipulation de l’individu – renvoient au même nœud crucial : l’annihilation du sujet autonome et rationnel, du cogito ergo sum moderne[46], à partir de la violation de son intimité, de l’atteinte à sa vie privée et au nom d’autre chose : d’une chair électronique aussi enivrante qu’elle est loin de correspondre aux promesses de bonheur chères à l’Occident.
Dans le corps à corps généralisé qui investit notre quotidien et le monde que nous habitons, faisant de ce dernier un espace dense et convulsif marqué par la promiscuité entre ses éléments – sujets et objets, nature et culture, esprit et matière –, l’altération corollaire de tout rapport rapproché avec l’altérité[47] produit des effets paroxystiques et corrode presque intégralement la cuirasse du moi forgée au prix de tant d’efforts à partir de la Renaissance jusqu’au milieu du XXe siècle. Nous sommes envahis par nos contacts, cernés par la kyrielle de personnes et de systèmes avides qui sollicitent notre attention[48], assourdis par le vacarme médiatique, au point que nous avons perdu tout lien avec notre centre de gravité et, dans la confusion créée par la tactilité et la proximité typiques du rythme de vie électronique, égaré notre « point de vue[49]. »
De la Toile à la rue, l’intervalle spatial et temporel entre soi et autrui, réduit au minimum, révèle une condition sociétale à bien des égards comparable à une sorte d’orgie permanente[50], où nous ne jouissons de la présence de l’autre qu’en nous donnant à lui, comme dans une sorte de prostitution sacrée, sur fond de petite grande mort. En ce sens, la pornoculture[51] qui enrobe notre époque ne concerne pas simplement la sphère de l’érotisme, mais traverse toutes les circonstances où le « moi » se perd dans l’autre – et, ce faisant, devient lui-même autre. C’est pourquoi nous pouvons suggérer que la « prostitution générale » de l’existence signalée et redoutée par Marx dans son analyse du mode de production capitaliste[52] est aujourd’hui en train de s’imposer de manière intégrale, bien au-delà des sphères de la production et de la sexualité.
C’est ce qu’illustrent de façon très détaillée, entre autres, les épisodes Blanc comme neige (2014), Archange (E2S4) et Black Museum (E6S4), inspirés du rythme et de la morphologie de nos existences numériques, des réseaux sociaux et de toutes les formes d’interconnexion qui jalonnent notre vécu. Le partage ininterrompu de l’expérience, l’être-ensemble incessant et la disponibilité illimitée envers l’autre, caractéristiques du règne du always on, du sharing, des followers, des fans, de la géolocalisation, mais aussi des systèmes de vidéosurveillance – son pendant obscur – dessinent la reddition totale de l’individu, dans sa chair et son esprit, à des corps étrangers.
Celle-ci, convient-il de soutenir, paraît d’autant plus considérable qu’elle est secondée, sans forcing particulier – pour recourir à un euphémisme –, par tous ceux qui s’y impliquent avec leurs cœurs, likes, smileys, stickers, Gifs et emojis enthousiastes. Bien qu’ils en subissent eux-mêmes les conséquences et en pâtissent, du fait de la réduction de leur propre liberté et de l’essor vertigineux du stress, de l’inquiétude et de la sensation d’impuissance, la fête continue[53]. Comme jadis lors du carnaval, cette célébration encense la défaillance d’une culture, d’une époque et d’un corps au moment où ils succombent pour laisser la place à ce qui leur succède. Ce qui arrive à Lacie Pound dans l’épisode Nosedive (Chute libre, E1S3) est en ce sens symptomatique. Dans une conjoncture où la gratification personnelle, le succès et le bonheur de chacun dépendent de l’approbation sociale, plus exactement des notes et des votes attribués en temps réel par ses contacts, selon la manière dont il répond à leurs attentes, la désastreuse aventure de la protagoniste indique bien qu’une telle situation comporte la coïncidence paradoxale de l’ivresse et du désespoir, un état qui enveloppe la condition existentielle contemporaine en produisant une sorte de schizophrénie généralisée. Ce mécanisme sévère incite la jeune femme à devenir un simulacre d’elle-même, en proie à toutes sortes d’humiliations et de frustrations. Épreuve après épreuve, elle est plongée dans un état d’aliénation et d’angoisse qui la rend maladroite au point de perdre tout le capital social à sa disposition. Privée de toute liberté d’action, ce n’est qu’en prison qu’elle en trouvera un résidu paradoxal – la part maudite – dans l’acte extrême consistant à insulter son voisin de cellule.
Le message latent de l’épisode, un véritable jugement sur notre époque, est aussi évident qu’inexorable : face à un monde organisé selon le principe du contrôle et de l’évaluation, qui étend à tous la condition de liberté surveillée, le pénitencier – conçu par les institutions modernes comme lieu par excellence de punition, de traitement de la déviance et de « normalisation » de l’existence[54] par respect pour la vie civile de la société – devient désormais non une cage mais une sorte de réserve où les hommes peuvent exprimer de façon exacerbée ce qui leur reste d’instinct, une animalité perdue et pervertie en rage. C’est le dernier refuge de l’individu, la seule parenthèse où ce dernier peut se manifester en n’ayant cure de l’appréciation des autres. Au contraire, la vie collective, façonnée qu’elle est par une solide alliance de lois néolibérales, de réseaux sociaux et de techniques de surveillance, apparaît comme un système carcéral à ciel ouvert dont il faut se libérer au plus vite. Par quel moyen ?
La thérapie indiquée dans les saisons réalisées entre 2011 et 2019, au-delà de leurs différences, ne laisse aucune place au doute : il est urgent de refuser le bien-être et le bonheur illusoires, les fausses joies éphémères qui droguent l’individu. Celles-ci ne sont que des distractions, semblent dénoncer les auteurs, par rapport à ce qui compte vraiment dans la vie : l’amour, la liberté, la raison et toute autre valeur éloignée du marché des plaisirs et des émotions faciles... Ainsi, en conformité avec les interprétations fournies par Debord sur la société du spectacle[55], par Adorno et Horkheimer sur l’industrie culturelle[56], par Marcuse sur l’homme unidimensionnel[57], par Postman sur la distraction jusqu’à la mort[58], par Lipovetsky sur le bonheur paradoxal[59] et par Illouz et Cabanas, qui ont récemment proposé leur critique de la happycratie[60], la série télévisée condamne sans appel le modèle de la vie contemporaine, associant ses sourires, ses cœurs et ses vibrations émotionnelles au spectre de la manipulation et de l’assujettissement. Ce halo de bien-être dissimule en fait un miroir noir brisé, notre vie réduite en fragments indiscernables, inorganiques et impuissants.
[1] M. Heidegger (1959), Acheminement vers la parole, Paris, Gallimard, 1976 ; M. H. McLuhan (1964), Pour comprendre les médias, Québec, Bibliothèque Québécoise, 1993 ; Id. (1962), La Galaxie Gutenberg : la genèse de l’homme typographique, Paris, Gallimard, 1977. ; E. Morin, L’esprit du temps, Paris, Éditions Grasset, 1962. Nous précisons que l’année entre parenthèses après le nom de l’auteur, dans les notes de bas de page et dans la bibliographie, indique la première publication du texte cité dans la langue d’origine, et que celle placée à la fin de la référence concerne en revanche le texte que nous avons consulté. Autrement, l’année indiquée à la fin de chaque entrée bibliographique est celle de l’édition originale.
[2] Cf. D. de Kerckhove (1995), La peau de la culture, Montréal, Éditions Liber, 2020 ; H. A. Innis (1950), Empire and Communications, Toronto, Dundurn, 2007 ; A. Mattelart (1992), La Communication-monde, Paris, La Découverte, 1999.
[3] G. Durand (1960), Les structures anthropologiques de l’imaginaire, Paris, Dunod, 1992.
[4] Telle est l’hypothèse que nous partageons avec divers chercheurs dans le domaine des sciences humaines et sociales, dont nos collègues Mario Tirino et Antonio Tramontana, qui ont dirigé le volume I riflessi di Black Mirror. Glossario su immaginari, culture e media della società digitale, Rome, Rogas Edizioni, 2018, pour lequel nous avons rédigé les articles « Corpo » (C. Attimonelli) et « Esperienza » (V. Susca). Par rapport à l’analyse critique des questions évoquées, nous renvoyons au livre d’A. Cirucci, B. Vacker, dir. par, Black Mirror and Critical Media Theory, Lanham, Lexington Books, 2018.
[5] Cf. A. Lemos, Isso (não) é muito Black Mirror : passado, presente e futuro das tecnologias de comunicação e informação, Bahia (Brésil), Edufba, 2018 ; F. Chiusi, Dittature dell’istantaneo. Black Mirror e la nostra società iperconnessa, Turin, Codice Edizioni, 2014.
[6] F. Fukuyama, La Fin de l’histoire et le Dernier Homme, Paris, Flammarion, 1992.
[7] Cf. W. Benjamin (1940), Le livre des Passages, Paris, Les Éditions du Cerf, 2006 ; S. Kracauer (1963), L’Ornement de la masse. Essai sur la modernité weimarienne, Paris, La Découverte, 2008 ; G. Simmel (1903), Les grandes villes et la vie de l’esprit, Paris, Éditions Payot, 2013 ; G. Vattimo (1985), La fin de la modernité. Nihilisme et herménetique dans la culture post-moderne, Paris, Éditions du Seuil, 1987.
[8] Cf. F. Tönnies (1887), Communauté et société, Paris, PUF, 2010.
[9] « L’alphabétisation a éjecté l’homme de sa tribu, lui a fait troquer l’oreille pour l’œil et a remplacé le sentiment qu’il avait d’une appartenance collective, totale et toute en profondeur par une conscience fragmentaire faite de valeurs visuelles linéaires (…) a écrasé le cercle enchanté et la magie sonore du monde tribal, en écrasant également l’homme et en le réduisant à une agglomération d’individus spécialisés et psychiquement appauvris, des simples unités agissantes dans un monde imprégné par le temps linéaire et l’espace euclidien », M. H. McLuhan, D’œil à oreille, Paris, Hurtubise HMH, 1977, p. 32. Voir aussi et surtout, sur ce thème, son œuvre fondamentale The Gutenberg Galaxy, op. cit.
[10] Sur le rôle des cafés comme lieu de socialité, voir J. Habermas (1962), L’espace public : archéologie de la publicité comme dimension constitutive de la société bourgeoise, Paris, Payot, 1997.
[11] W. Benjamin, Le livre des Passages, op. cit. ; nous renvoyons également à A. Rafele, La Métropole. Benjamin et Simmel, Paris, CNRS Éditions, 2010.
[12] Sur le rapport entre monstres et industrie culturelle, nous renvoyons à l’œuvre fondamentale d’A. Abruzzese (1979), La grande scimmia. Mostri, vampiri, automi, mutanti. L’immaginario collettivo dalla letteratura al cinema e all’informazione, Bologne, Luca Sossella Editore, 2008.
[13] Cf. A. Greenfield (2006), Every[ware]. La révolution de l’ubimédia, FYP éditions, Limoges, 2007.
[14] La notion d’ « imaginaire objectif » a été proposée in V. Susca, D. de Kerckhove, Transpolitica. Nuovi rapporti di potere e sapere, Milan, Apogeo, 2008.
[15] « So you won’t remember Xerox machines ? Do you know what a photocopier is ? / What ? / Do you know what a copy is ? / As in a copy of something ? Of course I know what that is. / Well, that’s what you are. / A copy of ? / A copy of you. / But I a’m me. / OK. Try to blow on my face. You can’t, because you don’t have a body. Where are your fingers ? Your arms, your face ? Nowhere. Because you’re code. You’re a simulated brain full of code, stored in this little widget we call a cookie. / Why have you done this to me ? / Ah, well Actually you did this to you. Real you is paying for this. / I don’t understand. / You see, what this is, is a service. We take a blank cookie and we surgically implant it into a client’s brain. It sits there just under the skin for about a week, shadowing. Soaking up the way this particular mind works. That’s why you think you’re you. You are you. But also not. Right. Well, it is a lot to process. Even from inside a processor. » White Christmas, Blanc comme neige, 2014.
[16] K. Marx (1859), Critique de l’économie politique, Paris, Éditions Allia, 2007.
[17] Cf. M. Castells, L’Ère de l’information. vol. 1, La Société en réseaux, Paris, Fayard, 1996 ; P. Virno, Grammaire de la multitude, Paris, Éclat, 2002.
[18] Cf. Les Cahiers européens de l’imaginaire, Le Fake, n° 6, Paris, CNRS Éditions, 2014.
[19] C’est la thèse déclinée dans l’ensemble de l’œuvre d’A. Abruzzese, L’intelligenza del mondo. Fondamenti di storia e teoria dell’immaginario, Rome, Meltemi, 2001 ; Cf. aussi D. Borrelli, Il mondo che siamo. Per una sociologia dei media e dei linguaggi digitali, Naples, Liguori, 2009.
[20] R. Descartes (1637), Discours de la méthode, Paris, Flammarion, 2010.
[21] M. Foucault, Histoire de la sexualité. La volonté de savoir, Paris, Gallimard, 1976.
[22] Cf. M. Pireddu, Algoritmi. Il software culturale che regge le nostre vite, Bologne, Luca Sossella Editore, 2017 ; É. Sadin, La vie algorithmique : critique de la raison numérique, Paris, Éditions l’Échappée, 2015.
[23] « Not everything that isn’t true is a lie, Liam. » The Entire History of You, Retour sur image (E3S1).
[24] Tel est le fond de la thèse exprimée par M. Heidegger (1946), Lettre sur l’humanisme, Paris, Éditions Montaigne, 1957.
[25] W. Benjamin, Aura e choc. Saggi sulla teoria dei media, Turin, Einaudi, 2012.
[26] Cf. A. Abruzzese (1973), Forme estetiche e società di massa. Arte e pubblico, Venise, Marsilio, 2001 ; M. De Micheli, Le avanguardie artistiche del Novecento, Milan, Feltrinelli, 2014.
[27] « Put me back in my body ! / Hm. That’s where real you lives. But what we will do though is we will give you a simulated body. We find that sometimes that helps. Are you ready ? / What ? I don’t understand ! / Three, and two, one. Hey. Better ? / This is my body. » Blanc comme neige, 2014.
[28] J. Baudrillard (1977), À l’ombre des majorités silencieuses ou la fin du social, Paris, Sens & Tonka, 1997 ; Id., Simulacres et simulations, Paris, Galilée, 1981.
[29] M. H. McLuhan (1964), Pour comprendre les médias, op. cit.
[30] J. Baudrillard (1970), La société de consommation, Paris, Denoël, 1970, p. 189.
[31] M. H. McLuhan, Pour comprendre les médias, op. cit., pp. 91-92.
[32] Au sujet de la crise de l’individu moderne, nous renvoyons à M. Maffesoli, Le temps des tribus. Le déclin de l’individualisme dans les sociétés de masse, Paris, Méridiens-Klincksieck, 1988 ; M. Maffesoli, Notes sur la postmodernité. Le lieu fait lien, Paris, Éditions du Félin, 2003.
[33] J. Baudrillard, L’esprit du terrorisme, Paris, Galilée, 2002, p. 12.
[34] Sur le rapport entre les médias, le public et la catastrophe, nous renvoyons à la thèse de doctorat de B. Vidal, Les représentations collectives de l’événement-catastrophe : étude sociologique sur les peurs contemporaines, dirigé par P. Tacussel, Lersem-Irsa, Université Paul-Valéry, Montpellier, 2012.
[35] Cf. G. Vattimo, La società trasparente, Milan, Garzanti, 1989.
[36] V. Susca (2008), Récréations. Galaxies de l’imaginaire postmoderne, Paris, CNRS Éditions, Paris, 2009, avec C. Bardainne.
[37] En ce sens, la session du séminaire permanent Longue vie à la nouvelle chair (10 avril 2019, université Paul-Valéry, département de sociologie) consacrée à Bandersnatch (2018) a confirmé, comme s’il s’agissait d’une expérience psychosociologique, la relation morbide et controversée entre Black Mirror et ses usagers. Ces derniers (en l’occurrence des étudiants, des chercheurs et des professeurs d’université), chaque fois qu’ils étaient appelés à voter à main levée pour prendre une décision afin d’avancer dans le parcours interactif du film, favorisaient en effet à une large majorité les solutions les plus catastrophiques et violentes.
[38] M. Weber (1904), L’éthique protestante et l’esprit du capitalisme, Paris, Plon, 1964.
[39] M. Maffesoli, Le réenchantement du monde, Paris, La Table Ronde, 2007.
[40] « So you don’t feel bad ? » / [Kelly doesn’t know what to say.] / « Maybe you should feel bad. Or at least feel something. » / [She turns and leaves. Kelly sighs. Turns and looks at herself in the mirror. Then she punches the mirror, hard. It splinters. Shatters. Kelly looks down at her hand. No blood. She looks at her reflection in the mirror, which is now unharmed.] San Junipero (E4S3).
[41] I. Calvino (1972), Les villes invisibles, Paris, Éditions du Seuil, 1974, p. 151.
[42] « Panique dans les rues de Londres, panique dans les rues de Birmingham, je me demande, la vie pourrait-elle être de nouveau saine ? », The Smiths, Panic, Rough Trade, 1986.
[43] Derrick de Kerckhove émet l’hypothèse de l’avènement d’un inconscient numérique : D. de Kerckhove, L’inconscio digitale, in A. Buffardi, D. de Kerckhove dir. par, Il sapere digitale. Pensiero ipertestuale e conoscenza connettiva, Naples, Liguori, 2011.
[44] J.-L. Nancy, Sexistence, Paris, Galilée, 2017, p. 37.
[45] Cf. M. Ferraris (2005), T’es où ? : Ontologie du téléphone mobile, Paris, Albin Michel, 2011.
[46] Cf. R. Descartes, Discours de la méthode, op. cit.
[47] Ph. Joron, La vie improductive. Georges Bataille et l’hétérologie sociologique, Montpellier, Presses Universitaires de la Méditerranée, 2009.
[48] V. Susca, « Essere-con in rete : la fine dell’autonomia, il ritorno della dipendenza e "l’ordo amoris" », in Varchi, n° 15, Connessioni. La vita delle persone al tempo dello smart phone, Gênes, Stefano Termanini Editore, 2016.
[49] De manière indicative, D. de Kerckhove suggère que la culture électronique porte avec elle le passage du point de vue au point d’être, The point of being, in D. de Kerckhove, C. Miranda , dir. par, The point of being, New Castle Upon Tyne, Cambridge Scholars Publishing, 2014.
[50] M. Maffesoli (1982) a été l’un des premiers penseurs à proposer une interprétation de la culture contemporaine à partir de la métaphore dionysiaque de l’orgie dans son ouvrage L’ombre de Dionysos. Contribution à une sociologie de l’orgie, Paris, Méridiens-Klincksieck.
[51] C. Attimonelli, V. Susca (2016), Pornoculture. Voyage au bout de la chair, Montréal, Éditions Liber, 2017.
[52] K. Marx (1844), Manuscrits de 1844. Économie politique et philosophie, Paris, Éditions Sociales, 1972.
[53] Cf. F. Berardi, Tueries. Forcenés et suicidaires à l’ère du capitalisme absolu, Montréal, Lux Éditeur, 2016.
[54] M. Foucault, Surveiller et punir. La naissance de la prison, Paris, Gallimard, 1975.
[55] G. Debord (1967), La Société du spectacle, Paris, Gallimard, 1992.
[56] T. Adorno, M. Horkheimer (1947), La dialectique de la raison, Paris, Gallimard, 1974.
[57] H. Marcuse (1964), L’homme unidimensionnel, Paris, Les Éditions de Minuit, 1968.
[58] N. Postman (1985), Se distraire à en mourir, Paris, Fayard, 2011.
[59] G. Lipovetsky, Le bonheur paradoxal. Essai sur la société d’hyperconsommation, Paris, Gallimard, 2006.
[60] E. Cabanas, E. Illouz, Happycratie. Comment l’industrie du bonheur a pris le contrôle de nos vies, Paris, Premier Parallèle, 2018.