Actes n°7 / La fabrique de l'opinion : communication, propagande, médias

Egalité des sexes, diversité ethnique et sexuelle : la normalisation par l'image. L'exemple des comics et de leurs adaptations à l'écran

Gary Morra

Résumé

Les héros de comics sont le panthéon mythologique de la culture pop. Suite aux nombreuses adaptations cinématographiques et télévisuelles dont ils ont fait l’objet, ils sont devenus des personnages importants pour la génération des milléniaux. Nous nous intéresserons à la manière dont les comics intègrent la question de la diversité, cherchant par là-même à normaliser par l’image une évolution sociale. Plusieurs exemples de productions ont été analysés avec l’idée d’inclure une plus grande diversité : les personnages féminins, d’ethnies différentes, ou LGBTQIA+, sont mieux représentés et occupent des rôles plus importants. Ces productions gagnent en quantité et en exposition durant la décennie 2010. Ces orientations sociales en matière de casting ont créé un certain nombre de polémiques, notamment sur la toile. Les producteurs ont pu être accusés de privilégier la bien-pensance à la fidélité aux œuvres d’origine. Pourtant, le fait de remodeler un personnage et son histoire n’a rien de nouveau dans le monde des comics. Ces personnages ont toujours été actifs sur un plan politique et social. Dans leur format papier, ils ont combattu durant la Seconde Guerre mondiale, été des symboles dans la lutte pour les droits des femmes et des noirs dans les années 1970, ou encore, ont affronté la drogue et l’alcool. Conscients de l’importance que l’image peut avoir dans la création de l’opinion, auteurs et producteurs de comics ont pu chercher à utiliser leurs productions pour faire passer des messages sociaux.

Abstract

Comic books heroes are the mythological pantheon of pop culture. Following the many film and television adaptations they have undergone, they have become important characters for the millennial generation. We will be interested in how comics integrate the issue of diversity, seeking at the same time to normalize by the image a social evolution. Several examples of productions have been analysed with the idea of including diversity: female characters, of different ethnicities, or LGBTQIA+, are better represented and occupy more important roles. These productions gained in quantity and exposure during the 2010s. These social orientations in terms of casting have created a certain amount of controversy, particularly on the web. The producers have been accused of favouring self-righteousness over fidelity to the original works. However, reshaping a character and his story is nothing new in the world of comics. These characters have always been active on a political and social level. In their paper format, they fought in the Second World War, were symbols in the fight for women's and black rights in the 1970s, or faced drugs and alcohol. Aware of the importance that images can have in creating opinion, comic book writers and producers may have sought to use their productions to convey social messages.

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L’idée que les Comics[1] puissent jouer un rôle social aussi important que celui évoqué dans le titre de cet article est à mettre en lien avec le concept de soft power développé en 1990 par Joseph Nye, analyste et théoricien des relations internationales, dans le livre Bound to Lead (Nye, 1990). Le soft power se définit par la volonté d’un État à développer son influence et son pouvoir de séduction à l’échelle internationale par le biais de moyens non-coercitifs (Larochelle). Dans ce cadre là, la littérature a pleinement sa place ; tout comme le petit et le grand écran. Ce mode d’influence est déjà utilisé par les Etats-Unis en 1946 dans le cadre des accords Blum-Byrnes. En assurant une plus grande diffusion de leurs productions cinématographiques en France, les Américains contribuent à assoir leur domination sur le monde occidental, non plus par la puissance de leur armée ou de leur économie, mais de façon plus douce, en faisant la promotion de leur mode de vie et du fameux « rêve américain ».

Le poids occupé par les comics sur le marché culturel laisse entendre qu’ils peuvent être de sérieux instruments de soft power. Si l’on en croit le site spécialisé Comichron, le marché des comics – au sens américain du terme – se porte particulièrement bien avec un chiffre d’affaires record de 1,2 milliard de dollars en 2019. En France, la diffusion est plus confidentielle car, bien qu’en hausse, elle ne représente que 6% du marché de la BD si l’on en croit Livres Hebdo. Des ventes en hausse grâce au succès des adaptations, qui inondent nos écrans. Pour exemple, en 2019, trois des cinq plus gros succès au box-office mondial sont des adaptations de comics : Avengers Endgame est premier, avec 2,797 milliards de dollars de recettes ; Spider-Man Far From Home et Captain Marvel sont quatre et cinquième, avec 1,1 milliard de dollars de recettes. Avengers Endgame est aussi le plus gros succès commercial de l’histoire. Bon nombre de séries TV voient également le jour, trois d’entre-elles étant les têtes d’affiches de la plateforme Disney+.

L'historien William Blanc (Blanc, 2018) considère que les super-héros sont nés en 1938, avec l'apparition de Superman dans le premier numéro d'Action Comics. Ils prennent par la suite rapidement vie sur les écrans, puisque différents serials, ou films à épisodes, sont diffusés dans les années 1940. C’est notamment le cas pour Batman, Captain America ou encore Superman. Ces personnages prennent également très vite un rôle politique et social. Pour exemple, dès 1940, Superman et Captain America affrontent Hitler, militant ainsi pour une intervention militaire alors que les Etats-Unis ne sont pas encore entrés en guerre et que l’opinion publique semble plutôt favorable au maintien de cet isolationnisme.

Le succès des comics et leur potentielle influence sur les mentalités questionne les pouvoirs publics américains dès 1954 : Estes Kefauver dirige une commission d’enquête sénatoriale visant à voir si cette « nouvelle forme de média […] spécifiquement commercialisée pour un public adolescent[2] » peut être considérée comme une des causes de la hausse de la délinquance juvénile. De même, l’importance sociale des médias dans les questions de représentation des minorités fait l’objet de nombreux travaux. Ainsi, Céline Morin s’est intéressée à la manière dont les séries télévisées américaines ont représenté les femmes depuis les années 1960 ; Russell H. Weigel, Eleanor L. Kim et Jill L. Frost ont analysé l’évolution de la représentation des afro-américains dans les diffusions télévisuelles de première partie de soirée dans les années 1970 et 1980. Depuis 1985, une association de veille médiatique, le Gay & Lesbian Alliance Against Defamation (GLAAD) cherche à faire médiatiser les histoires de personnes LGBTQIA+ afin de contribuer à leur acceptation dans la société.

Étant convenu que les comics, dont les héros peuvent représenter de véritables icônes pour la génération des milléniaux, peuvent être utilisés pour véhiculer des normes sociales, il serait intéressant de voir de quelle manière ils intègrent certains sujets de premier plan. Pour cela, nous traiterons tour à tour de la question de la parité hommes / femmes, de la diversité ethnique, et de la diversité sexuelle.

 

1. La parité hommes / femmes

Dès les années 1940, certains auteurs de Comics ont présenté des héroïnes positives. L’une des plus iconiques est sans doute Wonder Woman, apparue en 1941 dans le n°8 de All Star Comics, soit trois ans à peine après Superman. Son créateur, le psychologue William Moulton Marston, estimait que « le futur appartient à la femme » (Blanc, 2018), et voyait le recul du patriarcat comme la clef de l’humanité. Nous sommes alors dans un contexte social favorable pour les femmes aux Etats-Unis : elles remplacent les hommes partis à la guerre, elles occupent des métiers qui étaient jusqu’alors réservés aux hommes, elles ont même leur propre ligue de Baseball professionnelle. Moulton Marston propose un modèle de femme forte, instruite et indépendante. Dans ses aventures, Wonder Woman est amenée à lutter pour l’égalité des droits et à combattre les violences conjugales. Bien que sa tenue soit relativement courte et moulante, Wonder Woman, avec ses solides épaules, n’a pas un physique de pin-up, ce qui dénote dans l’univers des comics d’alors. L’une de ses alliées régulières, Etta Candy, est même obèse. Harry G. Peter, qui illustre la plupart des aventures de l’héroïne dans les années 1940, avait également travaillé dans les années 1910 auprès d’un magazine soutenant les suffragettes. Portée par des hommes ayant à cœur la cause féministe et dans un contexte social favorable, Wonder Woman contribue à véhiculer cette idée qu’une femme peut être l’égal d’un homme, que le modèle patriarcal a fait son temps, et que la société doit évoluer vers une plus grande parité.

Le personnage de Wonder Woman est frappé de plein fouet par la vague réactionnaire de l’après-guerre. Le communisme inquiète, certains pensent que le travail des femmes est une menace pour la stabilité de la nation, sabotant l’autorité masculine. Les femmes sont priées de retrouver leur foyer, et le côté subversif de personnages tels que Wonder Woman est violemment critiqué, notamment par le psychiatre Frederick Wertham qui publie Seduction of the Innocent en 1954. On lui reproche ses allusions lesbiennes et sado-masochistes, de ne pas bâtir de foyer, de ne pas élever de famille. Les Comics sont alors appelés à respecter un code d’éthique, et à mettre l’accent sur certaines valeurs telles que celle du foyer ou du mariage. Dès lors, le personnage de Wonder Woman perd de son caractère progressiste, tout comme d’autres héroïnes à la même époque. Certains personnages féminins voient le jour, comme Supergirl en 1952 ou Batwoman en 1956. Elles ne sont pas de réelles créations, mais de simples pendants de leurs cousins Superman et Batman. À cette époque, elles sont avant tout des faire-valoir, faibles malgré leurs capacités, avec un background relativement fade. Les comics subissent de plein fouet le contexte de la Guerre Froide, et perdent de leur subversivité sous la pression d’une commission d’enquête sénatoriale.

Il faut attendre la fin des années 1960 pour voir émerger une seconde vague féministe, avec des revendications liées au droit de disposer de son corps. Wonder Woman redevient une égérie émancipatrice. En 1972, elle fait la couverture du premier numéro de la revue féministe Ms.. Elle est également incarnée sur le petit écran de 1975 à 1979 par Lynda Carter, miss USA 1972. Elle y est représentée comme l’a voulu Moulton Marston : intelligente, forte et indépendante. Cependant, aussi bien à l’écran que sur papier, le personnage de Wonder Woman est devenue un objet de désir.    
D’autres personnages incarnent ce retour du féminisme dans les Comics. Pour exemple, Marvel met en avant le personnage de Carol Danvers, future Captain Marvel, s’inspirant pour cela de Gloria Steinem, journaliste engagée à la tête de la revue féministe Ms.. Carol Danvers est elle-même rédactrice en chef de Woman Magazine.

Ces personnages féminins peuvent prêter à controverse d’un point de vue féministe. Certes, ils détruisent les clichés de la femme en détresse ayant besoin du secours d’un homme, en proposant des modèles de femmes fortes, intelligentes, libres et indépendantes. Mais ces personnages sont également très souvent hypersexualisés. Ce physique très avantageux, suscitant le désir, peut se justifier pour certains, comme Catwoman ou Black Widow, qui jouent de leurs charmes. Cela questionne davantage pour d’autres : She Hulk, cousine de Hulk, garde son ventre plat et sa grosse poitrine malgré sa transformation en monstre ; le body porté par Vampirella ne recouvre quasiment que ses mamelons et son sexe. Ses représentations semblent surtout faites pour satisfaire un public masculin. D’ailleurs, en 2016, lorsque l’ONU a choisi Wonder Woman comme symbole d’une campagne mondiale pour l’égalité des sexes, cette décision a été très vivement critiquée ; certains reprochant au personnage de n’être qu’une femme blanche au physique de rêve et vêtue de manière très minimaliste.

Le passage à l’écran de ses héroïnes est plus difficile. En 1984, le film Supergirl tente de surfer sur le succès du film Superman de 1978, mais c’est un échec. En 2004 et 2005, les films Catwoman et Elektra ne font pas mieux. Ce n’est que douze ans plus tard qu’une nouvelle grosse production centrée sur une super-héroïne voit le jour : Wonder Woman. Le succès du film ouvre la voix à d’autres films tels que Captain Marvel ou Black Widow. Sur le petit écran, les séries centrées sur une super-héroïne se multiplient également : Supergirl, Jessica Jones, Batwoman, ou encore Stargirl, dans une période marquée par le mouvement #MeToo, que l’ethnologue Françoise Héritier envisageait comme un moyen de repenser la question du rapport au sexe (Birnbaum et Chemin).

 

Bien d’autres points concernant le rôle social des super-héroïnes pourraient encore être abordés, mais tout ne peut être traité ici. Ainsi, il serait intéressant de développer la question de la sexualisation des femmes dans les comics. Elle a été pensée à l’origine pour susciter le désir des lecteurs masculins, il serait bon de s’intéresser à la manière dont cette représentation évolue avec la féminisation du lectorat, mais également l’arrivée de femmes à des postes créatifs dans l’industrie du comics. De même, la réalisatrice Patty Jenkins s’est moins arrêtée sur le décolleté ou les fesses de Gal Gadot dans Wonder Woman que ne l’ont fait Joss Whedon et Zack Snyder dans Justice League. Un constat identique peut être fait avec la réalisatrice Cathy Yan, qui a nettement moins sexualisé Margot Robbie dans Birds of prey que n’a pu le faire David Ayer dans Suicide squad.        Notons également que la question de la parité a été essentiellement traitée au travers du personnage de Wonder Woman, or beaucoup d’autres personnages auraient mérité que l’on s’attarde sur eux. Malheureusement, le temps nous est compté.

Ces super-héroïnes ont pu représenter des modèles d’indépendance pour les femmes, des sources d’inspiration dans une quête d’émancipation et d’égalité. Elles peuvent à la fois inciter les femmes à s’affirmer, et les hommes à leur faire confiance. Wonder Woman est un personnage qui sait se battre, mais qui cherche à résoudre les problèmes de manière plus réfléchie : elle cherche à rendre le monde meilleur, avec le moins de violence possible. C’est la clef de l’humanité selon son créateur. Le féminisme a pu compter sur certains auteurs de comics tel William Moulton Marston pour diffuser ses idées. D’autres mouvements sociaux importants ont également pu compter sur cet appui : c’est notamment le cas de la lutte contre le racisme.

 

2. La diversité ethnique

Lorsque les premiers super-héros de comics apparaissent, les Etats-Unis connaissent une ségrégation légale. Certaines lois, dites « Jim Crow », introduisent une ségrégation dans les services publics et les lieux de rassemblement, à l’échelle locale ou nationale. Il faut attendre les années 1964 / 1965 pour voir ces dernières lois abrogées. Durant cette période, les personnages noirs sont peu présents dans les comics. Lorsqu’ils le sont, ils sont souvent représentés de manière très caricaturale : grosses lèvres, étrange façon de parler, grosse musculature mais petite cervelle. C’est le cas du peureux Washington Jones, apparu en 1941 dans Youg Allies sous les traits d’un personnage faible et peureux ressemblant davantage à un singe qu’à un homme. Il y a bien quelques tentatives de représentation positives de l’homme noir, avec la création de Lion Man en 1947, ou de Waku en 1954, mais qui sont loin d’être des personnages de premier plan.

Les choses changent à partir du milieu des années 1960. Black Panther apparaît en 1966, et devient le premier grand super-héros noir. Suivent ensuite d’autres personnages iconiques tels que Faucon en 1969, Black Lightning en 1977, mais surtout Luke Cage en 1972, qui est le premier super-héros noir à avoir son propre comics. Durant cette période, la contestation sociale est très forte. La lutte pour les droits civiques se radicalise, avec l’émergence du Black Power en 1966. Les comics y prennent part. Pour exemple, en 1970, Loïs Lane devient temporairement noire et raconte les difficultés de cette condition au quotidien. Les personnages féminins de Claire Temple et de Mercedes Knight, respectivement créés en 1972 et 1975, exercent les fonctions de médecin et de policière. Le fait de présenter des femmes noires occupant de telles fonctions peut être mise en lien avec le féminisme noir d’Angela Davis. En 1977, cette même Mercedes Knight embrasse le héros blanc Iron Fist, normalisant ainsi le métissage. En 1976, Black Panther lutte contre le Ku Klux Klan. En 1978, Muhammad Ali, figure de la lutte pour les droits civiques, devient personnage de comics le temps d’un numéro. Il y triomphe d’un Superman déchu de ses pouvoirs, avant de finalement s’allier à lui et de vaincre à ses côtés la menace extraterrestre. De manière bien moins explicite, les personnages de Magnéto et du Professeur Xavier auraient été inspirés de Malcolm X et de Martin Luther King. Les deux personnages défendent la cause des mutants au sein de la société, mais n’ont pas la même conception de la manière d’y parvenir. Le Professeur Xavier prône le dialogue et le pacifisme à la manière de Martin Luther King, alors que Magnéto légitime la violence tout comme Malcolm X peut le faire. Notons malgré tout que cette dernière façon de faire est plutôt condamnée dans les comics. Ainsi, lorsque le Black Panther Party voit le jour, le personnage de Black Panther est renommé Black Leopard, afin de ne pas être associé à un mouvement dont certains personnages référents légitiment la violence dans le cadre de la lutte sociale.

La représentation des personnages noirs dans les comics connaît un nouveau regain au XXIème siècle. Le contexte s’y prête : un président noir, Barack Obama, est élu en 2009 ; le manque de diversité aux Oscars est de plus en plus critiqué ; et le mouvement Black Lives Matter se développe depuis 2013, dénonçant les discriminations et la violence policière. Certains personnages, jusqu’alors blancs, deviennent noirs. C’est le cas de Nick Fury en 2001 ou de la Torche Humaine dans le film « les quatre fantastiques » de 2015. Miles Morales, né de père afro-américain et de mère portoricaine, devient Spider-Man en 2011. Sam Wilson, afro-américain, devient Captain America en 2014. Plusieurs Superman noirs apparaissent dans des univers parallèles. C’est notamment le cas en 1999 ou en 2008, à l’occasion de l’élection d’Obama. En 2014, la fonction de chef des X-Men est confiée à Tornade, une super héroïne d’origine Kenyane. Sur les écrans, le film Black Panther, sorti en 2018, rencontre un véritable succès. Succès qui n’est pas simplement commercial selon John Jennings, professeur d’études culturelles à l’université UC Riverside. Selon lui, ce film est « un tournant à Hollywood pour la représentation de la culture noire ». Ryan Coogler, le réalisateur, est de couleur noire, tout comme près de 90% du casting. Une autre production audiovisuelle fait également beaucoup parler : la série Luke Cage, sortie en 2016. Elle prend directement place dans le contexte du Black Lives Matter, et y délivre de nombreux messages politiques. Son héros ne porte pas de costume de super-héros. Il est souvent vêtu d’un hoodie, un sweat noir à capuche. C’est le vêtement que portait Trayvon Martin, adolescent afro-américain tué par balle en 2012. Le hoodie est devenu un symbole de ceux qui souffrent des violences racistes aux Etats-Unis.

Une fois encore, bien d’autres aspects liés à l’influence des comics dans la question de la normalisation par l’image de la diversité ethnique pourraient être développés. Nous nous sommes arrêté sur les personnages noirs, du fait d’un contexte politique très marqué par cette problématique, mais nous aurions également pu nous intéresser à la question de la représentation des Asiatiques dans un contexte de guerre face au Japon dans les années 40, ou encore de la représentation des Arabes dans le cadre des attentats du 11 Septembre et de la lutte contre le terrorisme. Pour ce qui est des personnages noirs, nous pouvons conclure en disant que les comics ont participé à ce qui est couramment appelé la « blaxploitation » dans les années 1970 (Gairin), à savoir la revalorisation de l’image des afro-américains en les représentant dans des rôles de premier plan. Ils ont de nouveau contribué à leur mise en valeur dans les années 2010 et un contexte social particulièrement marqué par les violences raciales et le mouvement Black Lives Matter. Cette décennie a également été marquée par un autre mouvement social : la lutte contre les discriminations liées aux orientations sexuelles.

 

3. La diversité sexuelle

La sexualité, quelle qu’elle soit, est longtemps restée tabou dans les comics. Pour exemple, la relation entre Superman et Loïs Lane est longtemps restée platonique. La faute a un certain puritanisme, mais aussi au comics code que nous évoquions précédemment, qui interdit toute représentation de sexualité.

Dans les années 1950, l’homosexualité est considérée comme une maladie psychiatrique aux Etats-Unis, la sodomie est même passible de prison dans certains états. Dans le cadre du maccarthysme, une chasse aux sorcières est menée dans l’administration publique, afin d’en chasser les homosexuels, car jugés susceptibles d’être utilisés par l’URSS. C’est ce que l’on a appelé la « peur violette ».

Dans son ouvrage de 1954, Fredric Wertham accuse Batman et Robin d’avoir une liaison homosexuelle. Cela a pour effet de voir apparaître le personnage de Batwoman en 1956. Ses rapports avec Batman sont platoniques, mais cela constitue malgré tout un semblant de relation hétérosexuelle pour le super-héros.

Le militantisme LGBTQIA+ se fait vraiment connaitre dans les années 1980, dans le cadre de la lutte contre le SIDA et via l’association Act’Up, fondée en 1987. De premiers personnages LGBTQIA+ apparaissent, d’abord dans le cadre d’éditions réservées à des boutiques spécialisées. C’est notamment le cas de Camelot 3000. Des personnages LGBTQIA+ apparaissent également dans des comics grand public, mais leur sexualité n’est pas clairement révélée. C’est notamment le cas d’Extraño ou de Northstar, qui développent tout deux le VIH. Là encore, rien n’est très explicite. Northstar révèle officiellement son homosexualité en 1992, dans le numéro 106 de Alpha Flight, ce qui vaut au numéro un succès inattendu. Cette même année, le personnage de John Constantine est présenté comme étant bisexuel. Quatre ans plus tard, en 1996, Batwoman, personnage très secondaire et peu charismatique créé dans les années 1950, est relancé et son homosexualité est révélée. Dans un même temps, des auteurs de Comics, tel que Philip Craig Russell, révèlent leur homosexualité. En 2012, alors que Barack Obama porte le projet du mariage pour tous, deux X-Men hommes se marient dans le numéro 51 d’Astonishing X-Men.

La communauté LGBTQIA+ est également de plus en plus représentée sur les écrans, notamment dans l’Arrowverse, un univers de fiction partagé par huit séries télévisées. Pour exemples, Sara Lance est bisexuelle, Anissa Pierce et Alex Danvers sont lesbiennes, William Clayton et Curtis Holt sont gays, Nia Nal est transgenre. Le personnage de Batwoman, ouvertement gay, possède même sa propre série depuis 2019.

Longtemps insinuée, la sexualité est de plus en plus présente dans les comics. Afin de refléter au mieux le monde extérieur, les comics font également davantage de place à des héros issus de la communauté LGBTQIA+, et ce de manière de plus en plus explicite. Cela peut engendrer des polémiques, comme cela a été le cas pour le casting du personnage de Batwoman. Elle est incarnée dans la première saison par Ruby Rose, qui aime les femmes mais qui ne s’identifie à aucun genre. Certains membres de la communauté LGBTQIA+ ont alors critiqué ce choix d’actrice, ne la jugeant « pas assez lesbienne » (A-C.D.). La polémique a été telle que Ruby Rose a fait le choix de quitter Twitter. Lorsque son personnage a été de nouveau « casté » pour la saison 2, la production a dit chercher une actrice LGBTQIA+ pour jouer le rôle. Là encore, il y a eu polémique (A-C.D.), certains internautes disant ne pas comprendre pourquoi une actrice incarnant un personnage gay devait-elle être elle-même lesbienne.

 

Le rôle d’influenceur des comics n’a rien de nouveau : il est presque aussi vieux que les comics eux-mêmes. N’est-ce d’ailleurs pas une fonction propre à tout média ? Au XXIème siècle, grâce à l’explosion de l’exploitation des super-héros dans les productions audiovisuelles, l’influence des comics a gagné en résonnance et est devenue planétaire. Les super-héros sont devenus le panthéon mythologique de la culture pop. Ils ont évolué, au fur et à mesure des décennies, tout comme les combats qu’ils ont menés.

Une accélération notable peut être constatée durant la décennie 2010. Les habitudes de dessin ont changé, afin de mieux refléter la réalité du monde extérieur. L’ultra domination des super-héros masculins, blancs et hétérosexuels s’estompe progressivement au profit de personnages féminins, moins sexualisés que par le passé ; de personnages de couleurs, qu’ils soient noirs, latinos ou arabes ; et de personnages issus de la communauté LGBTQIA+. L’équipe des X-Men est un bon exemple de cette diversité, puisqu’on y trouve désormais une variété d’ethnies, de physiques, de sexualités et d’âge différents, ce qui peut permettre à n’importe qui de s’identifier à l’un des personnages. Ces changements ne sont pas du goût de tout le monde : un mouvement inorganisé, appelé « Comicsgate » a vu le jour (Lacina). Une partie des fans de comics s’oppose à la mise en avant de plus en plus systématique de minorités, estimant que cela nuit à la qualité des histoires. Ainsi, il pourrait être intéressant de se questionner dans des travaux à venir sur les effets réels et supposés dans la société américaine de ces représentations véhiculées par les comics.

 

Bibliographie :

BLANC, William. Super-héros, une histoire politique, Montreuil, Libertalia, 2018.        
FOREST, Claude. Du héros aux super héros, Paris, Presses Sorbonne Nouvelle, 2009.

JENNINGS, John. Entretien, « Black Panther, le film est un tournant pour la représentation de la culture noire », 20minutes, 19-02-2018.
LAINE, Jean-Marc. Super héros ! La puissance des masques, Bordeaux, Les Moutons électriques, 2011.

LAROCHELLE, Dimitra Laurence. « Le soft power à l’épreuve de la réception. Le cas des fictions sérielles turques en Grèce », Réseaux, vol. 226-227, no. 2-3, 2021, pp. 209-234.
MARY, Jonas. DENIS, Elodie, La philo des super héros, Paris, Editions de l’Opportun, 2017.

MORIN, Céline. Les Héroïnes de séries américaines, Tours, PUFR, 2017.
NYE, Joseph. Bound to Lead, New York, Basic books, 1990.
ROGERL, Thierry. Sociologie des super-héros, Paris, Hermann, 2012.

WEIGEL, Russell H., Eleanor L. Kim, and Jill L. Frost. 1995. “Race Relations on Prime Time Television Reconsidered: Patterns of Continuity and Change.” Journal of Applied Social Psychology 25(3): 223-236.
WERTHAM, Fredric. Seduction of the Innocent, New York, Rinehart & Company, 1954.
WINCKLER, Martin. Super héros, Paris, EPA, 2003.

 

Articles de presse

BIRNBAUM, Jean et Anne CHEMIN. « L'anthropologue Françoise Héritier, pourfendeuse de la domination masculine, est décédée », Le Figaro, 15-11-2017.

D., A-C. « Harcelée pour son rôle dans Batwoman, Ruby Rose quitte Twitter », Le Parisien, 13-08-2018.

GAIRIN, Victoria. « Cinéma – Lumière sur la Blaxploitation ! », Le Point, 09-10-2021

LACINA, Bethany. « The smash success of ‘Captain Marvel’ shows us that conservatives are ignoring the alt-right », Washington Post, 15-03-2019.

Sites

Archives Nationales Américaines

https://www.archives.gov/files/legislative/resources/education/comic-books/all-worksheets.pdff. Source consultée le 19-02-2022.

Comichron https://blog.comichron.com/2020/07/comics-and-graphic-novel-sales-top-12.html Source consultée le15-05-2021

GLAAD  https://www.glaad.org/ Consulté le 19-02-2022.

Livres Hebdo http://www.comicsblog.fr/39927-en_2020_les_comics_ne_repreesentent_toujours_que_6_du_marchee_de_la_BD_en_France Source consultée le 15-05-2021

 

 

[1] Le terme « comics » n’a pas le même sens en France et aux Etats-Unis. De l’autre côté de l’Atlantique, il est utilisé pour désigner les bandes-dessinées de manière générale ; alors qu’ici, on différencie les productions franco-belges, américaines et japonaises, en utilisant respectivement les termes BD, comics et mangas. Nous utiliserons la définition française.

[2] Compte-rendu disponible sur le site des Archives Nationales Américaines.

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