Le sublime à l’aune de la vulnérabilité dans l’œuvre gravé de Rembrandt
Claire Charrier*
Introduction
L’œuvre de Rembrandt (1606-1669) se situe à l’époque où Descartes analyse l’acte par lequel le sujet s’approprie ce qu’il est. Même si la notion d’autonomie n’est pas encore partagée, l’idée d’une grandeur qui demande à être conquise sous-tend alors la pensée des Néerlandais : l’homme s’accomplit par la vertu. Modelée par l’humanisme d’Érasme et par le calvinisme, cette idée se nourrit du récit de l’indépendance que le peuple a gagnée par ses efforts.
Les œuvres d’art modélisent une telle conception de l’homme. Comme l'ont montré Simon Schama et Jan Blanc[1], celles-ci contribuent à construire l’identité culturelle des Hollandais. Les artistes répondent à la demande d’ « une société iconocrate, qui croit dans la puissance de l’image et dans sa capacité performative à construire un espace de paix et de prospérité[2] ».
L’élaboration de cette vision harmonieuse de la société suppose la discrimination de ceux dont le comportement semble peu vertueux. Les œuvres affirment le primat des nobles et des bourgeois, catégories qui se rapprochent au XVIIe siècle et dont l’excellence intellectuelle et morale apparaît exemplaire. À partir des années 1650, se manifeste la reconnaissance des domestiques et des travailleurs manuels (Fig.1). Leur activité est une source de perfectionnement, car elle favorise la concentration et l’application. Mais le jugement est sévère envers ceux que la paresse réduit à la pauvreté. La définition de la nature humaine modélisée par les œuvres inclut autant qu’elle exclut. Les pauvres déméritants, incarnés par le vagabond, ne peuvent s’élever.
Fig. 1 - Nicolas Maës, la Dentellière, vers 1656. Huile sur toile, 45,2 × 52,7 cm. Collection Michael Friedsam, Metropolitan Museum, New York. Droits de reproduction : Metropolitan Museum.
Comme l’ont remarqué un grand nombre de critiques, les estampes de Rembrandt dotent les mendiants d’une dignité inédite. Elles donnent à voir leurs émotions, ce qui était l’apanage des images narratives évoquant de hauts faits. Aussi la figure du mendiant est-elle exemplaire pour analyser la manière dont Rembrandt renouvelle la notion de sublime. Héritée de Longin[3], cette idée évoque l’effet produit par les œuvres dont la puissance d’élévation bouleverse et transporte. Rembrandt repense cette force à travers les catégories chrétiennes. Il insiste sur la pauvreté extrême du vagabond. Ce dénuement a, conformément au sens premier du mot, une fonction de mise à nu[4]. En dépouillant l’homme de sa vertu, les estampes révèlent la disposition qui rend possible l’accueil du divin : la fragilité, voire le renoncement à soi. Elles explorent ainsi une idée présente chez les Réformateurs : en s’abaissant par amour de l’humanité, Jésus a pris l’aspect méprisable d’un mendiant[5].
Nous commencerons par analyser la manière dont Rembrandt évoque l’humanité vertueuse en se représentant lui-même en courtisan. Notre deuxième moment sera consacré à la figure du mendiant et à la manière dont son image se constitue sous le mode de la relation. Cela conduira à étudier comment la disposition à l’abandon est la condition de l’avènement du sublime.
1. Une exploration de l’humanité accomplie
1.1. Entre subjectivité et harmonie
La découverte de la subjectivité par Descartes procède d’une séparation. Le sujet peut s’attribuer différents actes, douter, imaginer, sentir, tant qu’il considère qu’ils ne renvoient pas à l’existence de choses extérieures[6]. L’universalité du sujet correspond à l’unité abstraite de la chose pensante[7]. Le problème de l’individuation de chaque esprit[8] et celui de la possibilité d’une relation entre les différents sujets restent entiers.
Comme le note Hegel, la conscience de soi acquise par la pratique est nécessaire pour dépasser l’abstraction de la conscience théorique. La peinture hollandaise offre un exemple de ce dépassement. Elle évoque l’action d’individus jouissant de leur liberté au sein d’une communauté harmonieuse. Cette peinture exprime un « comique réconciliateur », car elle donne une forme sensible à ce qui unit le peuple hollandais : la satisfaction d’avoir conquis sa liberté vis-vis de la nature et des Espagnols. L’art néerlandais apparaît comme « le dimanche de la vie » où se manifeste la joie d’être au terme du procès après avoir surmonté le négatif[9].Jouissant d’un grand succès tout au long du XVIIe siècle, les scènes de patinage incarnent visuellement cette joie[10]. Dans les tableaux et dessins d’Hendrick Avercamp (Fig.2), la simplicité ou l’élégance de leurs vêtements différencie les catégories sociales, mais aucune trace de tension n’apparaît. S’exerçant malgré la rigueur de l’hiver, ce divertissement devient la métaphore de la concorde conquise par ce peuple courageux[11]. Les efforts qui unissaient les individus tendus vers un même but sont couronnés par un plaisir partagé qui donne à chacun sa place.
Fig. 2 – Hendrick Avercamp, Paysage avec des patineurs, vers 1608. Huile sur bois, 77,3 × 131,9 cm. Rijksmuseum, Amsterdam. Droits de reproduction: Rijksmuseum
L’œuvre de Rembrandt participe de la démarche de Descartes et de celle des peintres hollandais. L’artiste explore la subjectivité, en peignant son image. Cette découverte se différencie de l’approche de ses contemporains par les écarts qu’elle met à jour. Rembrandt se prête de multiples visages, comme pour examiner les singularités qui rendent possible l’humanité. Cette quête se radicalise dans les eaux-fortes. Les différences deviennent des inégalités difficiles à réconcilier.
1.2. L’exploration de soi : le courtisan comme paradigme de la vertu
Se donner les traits d’un courtisan est conventionnel. Aidant à la promotion des arts visuels, ce type de portrait est utile pour affirmer son autorité artistique. L’Autoportrait appuyé sur un mur de pierre donne à la figure de Rembrandt une position désinvolte, proche de celle du portrait de Castiglione par Raphaël[12] (Fig.3). Cette dernière évoque la sprezzatura, néologisme de Castiglione qui désigne la grâce de l’homme accompli. L’art atteint son comble, car il efface toute trace d’efforts pour simuler la facilité et la spontanéité. Moyen de servir le prince, la sprezzatura s’apparente au contrôle humble de soi. Le courtisan « compose » l’ensemble de sa vie : « Une vie toute artificielle, mais dont l’artifice consiste à construire, à des fins rhétoriques, persuasives, une seconde nature, meilleure et plus naturelle que la première[13]. »
Fig. 3 – Rembrandt, Autoportrait appuyé sur un mur de pierre, Bartsch.21, 1er état (sur 2),1639. Eau-forte et pointe sèche, 20,6 × 16,4 cm. Rijksmuseum, Amsterdam. Droits de reproduction: Rijksmuseum
Cette idée d’une seconde nature s’inspire de la morale d’Aristote et de celle des stoïciens. Le courtisan incarne un idéal de sociabilité, qui témoigne des vertus de douceur et de retenue. La notion de sprezzatura a une portée esthétique[14], dont l’eau-forte de Rembrandt donne un exemple, en alliant la maîtrise technique à l’inachèvement. Très unifiée, l’image présente un vocabulaire graphique différencié : tailles espacées du mur, tailles fines et resserrées du vêtement, mouchetures qui décrivent les irrégularités de la peau. Mais certaines traces restent visibles. Au-dessus du béret, on perçoit l’esquisse préliminaire, réalisée très légèrement à la pointe sèche, et à droite, un globe ébauché apparaît sur les épreuves du second état[15]. Indéfinissables, ces marques semblent indiquer que l’art particulièrement maîtrisé de cette eau-forte est « venu sans peine et presque sans y penser[16] ».
Ainsi est produite une image de l’art du graveur libéré de sa part de « métier ». L’eau-forte demande une suite de tâches difficiles à maîtriser : la morsure, l’encrage, l’impression supposent une grande expérience. Dissimulant le labeur, la grâce hausse cette pratique au niveau de la « profession » : l’activité d’une vie de loisir, c’est-à-dire la pratique libérale qui appartient à la noblesse[17]. Cet autoportrait manifeste une double conquête, tout en la présentant comme naturelle. L’art de la gravure devient aussi noble que les arts du texte, et Rembrandt qui se représente à l’égal des maîtres les plus prestigieux, Dürer ou Lucas de Leyde – dont il reprend certains éléments de costume – témoigne qu’il se situe parmi les plus grands.
L’effet de cet autoportrait le différencie de ses modèles, qui sont tout en retenue. Se détachant sur le vide du papier, la figure s’impose telle une apparition. Comme le note Sophie Renouard de Bussierre, Rembrandt brouille la frontière entre l’espace pictural et l’espace réel. La manche qui pend du côté du spectateur projette une ombre, comme si la figure surgissait devant lui[18]. Sa fulgurance est plus proche de l’effet du sublime, comme force d’évidence capable de mettre sous les yeux, que de la douceur conciliante de la grâce. Pourtant cette force est fragile. Lieu partagé entre le courtisan et le spectateur, le mur délabré symbolise le caractère éphémère de la vie[19]. Nous contraignant à entrer en relation, la figure de l’artiste s’inclut dans un monde commun, hanté par la précarité. Cette présence vulnérable est dans un rapport de tension et de continuité avec celle du mendiant à laquelle Rembrandt prête ses traits (Fig.4 et 5).
Fig.4 – Rembrandt, Mendiant assis sur un talus. 1630. Bartsch 174, état unique. Eau-forte, 11,6 × 70 cm. Rijksmuseum, Amsterdam. Droits de reproduction: Rijksmuseum
Fig.5 – Rembrandt, Mendiant assis sur un talus, détail
2. Une exploration de l’humanité vulnérable
2.1. L’exploration de soi : le mendiant comme figure de la détresse
À l’époque, les peintres qui représentent les passions s’aident de manuels d’inspiration physiognomonique. Or pour réaliser Mendiant assis sur un talus, Rembrandt ne tient pas compte de tous les signes de l’affliction donnés par l’ouvrage de Karel van Mander[20]. Ne gardant que le plissement du front, il ajoute l’ouverture de la bouche, qui laisse apparaître quelques dents. Le visage est défiguré au-delà de toute convenance. « De ce fait le profond mal-être ainsi exprimé semble relever d’un registre primaire, vital et existentiel, plus que moral et spirituel[21]».
Le détail de la bouche ouverte, indice d’un désespoir qui ne peut s’exprimer que par le cri et non par le langage articulé, se répète sur plusieurs autres figures de mendiants (Mendiants à côté d’une butte, Gueux à la jambe de bois, dit « Capteyn Eenbeen », Fig.6 à 7). Rembrandt explore les expressions qui mettent en péril la définition de l’humain comme être vertueux. Signe de cette audace, il s’est enlaidi. Autant le courtisan est élégant, autant le mendiant paraît difforme, tassé sur lui-même sous l’effet de l’accablement. Le courtisan regarde fièrement le spectateur. Bouche ouverte et yeux dissymétriques, le mendiant ne maîtrise même pas l’expression de ses traits.
Fig. 6 – Rembrandt, Couple de mendiants à côté d’une butte. Bartsch 165, 9ème état (sur 9) , vers 1639. Eau-forte, pointe sèche et burin, 9,8 × 6,7cm. Rijksmuseum, Amsterdam. Droits de reproduction: Rijksmuseum
Fig. 7 - Rembrandt, Gueux à la jambe de bois, dit « Capteyn Eenbeen ». Bartsch 179, 2ème état (sur 2 de la main de Rembrandt d’après le catalogue New Hollstein), 1630. Eau-forte, 11,5 × 6,6 cm. Rijksmuseum, Amsterdam. Droits de reproduction: Rijksmuseum.
Rembrandt s’est aidé de sa phantasia, l’imagination, connue depuis la Poétique d’Aristote comme l’une des conditions de la création. Pour mettre les choses sous les yeux du spectateur, le poète doit expérimenter sur lui-même les émotions, « devenir en quelque sorte les malheureux » dont il rend sensibles les souffrances, écrit Quintilien[22]. Longin est le premier à noter que la phantasia n’est pas seulement reproductrice, mais a le pouvoir d’être visionnaire : de créer des images d’une telle force que le créateur peut les imposer à autrui[23]. Or, comme s’il prenait à la lettre le conseil de Quintilien, Rembrandt use de la phantasia pour faire fusionner des réalités incompatibles selon les critères de la respectabilité sociale : la figure du mendiant et son propre visage. L’estampe Mendiant assis sur un talus paraît correspondre à un projet. Rembrandt a sans doute préparé ce rapprochement presque scandaleux. La même année, il scrute son image devant le miroir et tente de fixer sur le métal les expressions d’émotions extrêmes et difficiles à déterminer, en particulier ce qui ressemble à de la souffrance mêlée de colère (Fig.8). Cet examen le contraint à forcer littéralement le trait. Les traits – au sens des tailles gravées – ne construisent pas d’image claire et lisible, contrairement à ce que demandent les critères de l’époque. La moitié droite est couverte d’ombre, si bien que l’expression devient impénétrable. Ce sont aussi les traits du visage qui perdent la forme typique qui permet de reconnaître un homme. La face de l’artiste est défigurée en un grognement quasi animal.
Fig. 8 – Rembrandt, Autoportrait à la bouche ouverte, Bartsch 13, 1er état (sur 3). Eau-forte, 8,3 × 7,2 cm. Rijksmuseum, Amsterdam. Droits de reproduction: Rijksmuseum.
Alors que l’aumône a perdu l’évidence qu’elle avait au Moyen-Age, donner son visage, déjà célèbre dans les années 1630, à une figure honnie, étonne et contraint à la regarder autrement. Choqué, le spectateur découvre la souffrance des mendiants que la société amstellodamoise enfermait dans des institutions.
2.2. Une image qui confronte à l’invisible
Dans l’art néerlandais, la représentation des mendiants a deux fonctions. Étudiées par Eddy de Jongh et Ger Luitjen, elles recoupent la distinction entre les pauvres méritants et les les paresseux[24]. Prenant le point de vue du donateur, le premier type d’images incite à pratiquer la charité envers ceux qui ont subi un coup du sort, comme le fait la gravure de Gerard van Groeningen « Soixante ans »[25]. Le texte affirme qu’à partir de cet âge-là, les gens se soucient de leur âme et essaient d’obtenir le salut par leurs bonnes œuvres. S’élevant à la hauteur d’une scène d’édification, l’image est performative. Elle donne à voir les effets de l’acte de charité : anobli, le pauvre retrouve sa dignité. Mais il est alors le sujet passif de sa propre transformation.
Le deuxième type de représentation dénonce les vices de ceux qui ne méritent aucun secours. Le ton est souvent satirique et moralisateur, comme dans le cas de l’huile sur bois de David Vinckboons, la Distribution d’aumônes (Fig.9). L’on voit, groupée devant la grille d’une institution de charité, une cohue d’infirmes, au visage déformé par la concupiscence. Incapables de compassion les uns pour les autres, ils se bousculent et se battent pour récupérer les morceaux de pain qu’un homme leur lance à travers la grille. Le mépris que le peintre affiche pour ces miséreux s’inscrit ainsi dans une idéologie commune où la charité s’accompagne de condescendance. Au premier plan, alors qu’une fillette, apparemment valide, apprend à marcher avec une canne, un jeune homme dépenaillé dérobe son panier à la femme qui la guide. La morale est claire : ceux qui ont l’énergie de se battre, ou l’intelligence de ruser, doivent utiliser leurs ressources à travailler pour gagner leur vie honnêtement. Les infirmes méritants, qui ne s’abaissent pas à quémander, sont présentés de façon différenciée. À l’arrière-plan, une femme aveugle et son guide se dirigent vers le bâtiment situé à côté de l’institution de charité, peut-être le lieu de culte[26]. Ces pauvres qui ont réellement besoin d’être aidés ne sont discernables qu’après un examen attentif. Cette place qui tend vers l’absence symbolise l’effort nécessaire pour dépasser les préjugés. Le spectateur au regard superficiel a sans doute du mal à surmonter sa réprobation envers l’ensemble des mendiants, qu’il juge à l’aune des paresseux.
Fig. 9 – David Vinckboons (1576-1629), Distribution d’aumônes. Huile sur bois, 35 × 53 cm. Nationalmuseum, Stockholm. Droits de reproduction: données à Wikimedia Commons par le Nationalmuseum dans le cadre du projet de coopération avec Wikimedia Sverige.
Ces images témoignent des contradictions d’une société, fondée sur la générosité et l’exclusion. Reposant sur la contribution civique, le système de protection sociale d’Amsterdam avait réduit la mendicité, au prix de l’enfermement des pauvres. Le résident respectable, car temporairement dans le besoin, était intégré dans une institution de charité. Et le vagabond, qui vivait de menus larcins, était incarcéré et forcé de travailler, afin de corriger ses vices. Si cela échouait, il était banni de la cité. Méritant ou non, le pauvre devenait invisible[27]. Les citoyens avaient l’image d’une cité unie et prospère, comme celle qui apparaît dans les scènes de patinage.
Rembrandt brise cette belle unité [28]. Alors que les représentations habituelles insistent sur la difformité des mendiants, il évoque leur souffrance psychique. Proche de l’esprit de Longin, il saisit le kairos : sa manière se module sur la singularité du sujet qu’il traite, de telle sorte qu’ils ne font plus qu’un[29]. Le sublime change radicalement de sens. Il ne réside plus dans la noblesse du sujet, mais dans la justesse de l’expression. Le Mendiant se réchauffant les mains (Fig.10) est gravé par une pointe rapide. Les tailles irrégulières rendent perceptible la fragilité de cet homme. Elles captent le tremblement de ses mains, qui ont du mal à se réchauffer, l’expression tendue de son visage émacié. Recroquevillé sur lui-même, il ne demande rien. Sans qu’un texte ou même qu’un contexte pictural n’oriente son interprétation, l’estampe montre crûment la faiblesse d’un individu exténué, réduit à la survie. Mais sa sensibilité encore vive apparaît avec acuité. Exprimant une souffrance sans espoir, elle atteste son humanité. D’une lucidité terrible, la conscience de son dénuement fait la grandeur du mendiant.
Fig. 10 – Rembrandt, Mendiant se réchauffant les mains, Bartsch 173, 2ème état (sur 2). Eau-forte, 7,7 × 4,6 cm. Rijksmuseum, Amsterdam, Droits de reproduction: Rijksmuseum
Confrontant à l’invisible social, Rembrandt évoque son visage sous le mode de la contradiction. La tension entre la noblesse hautaine du courtisan et l’humiliation du mendiant a une puissance comparable à celle de la cinquième source du sublime analysée par Longin, l’épisynthèse ou composition disjointe, qui produit l’émerveillement grâce au choc des contraires[30]. À l’époque moderne, le poète Le Tasse reprend cette idée, ce qui l’aide à interpréter l’anecdote du peintre Zeuxis d’une manière originale[31]. Observant les filles de Crotone, Zeuxis choisit les détails les plus beaux de leur corps. En les combinant, il réussit à peindre la beauté parfaite d’Hélène. Cette unité ouverte demande la participation du lecteur. À partir des fragments épars, l’imagination compose la forme de la beauté. Celle-ci n’atteint le sublime qu’à condition de ne pas être totalement harmonieuse, mais de laisser les tensions vivantes.
Creusant encore les écarts, Rembrandt se met à différents points de vue[32]. Il se perd dans l’extériorité pour se retrouver, il devient tous les hommes afin de s’atteindre lui-même. Incité à achever le portrait, le spectateur rapproche la morgue du courtisan et le visage convulsé du mendiant. Comme le constate Jean Genet, l’individu qu’est Rembrandt se dépersonnalise : il n’est pas identifiable, au sens où il n’a pas de caractère déterminé[33]. Par la force de ses contradictions internes qui sont autant de possibilités humaines, le portrait devient transpersonnel. Ainsi se construit une unité dynamique, qui provoque l’étonnement. Celui-ci aide à dépasser la tristesse et le dégoût que peut susciter la vue d’une humanité humiliée. Alors que Le Tasse définit un moyen d’atteindre la perfection, Rembrandt propose une nouvelle définition de l’humanité, unie par la vie intérieure et par la faiblesse. La grandeur n’est plus une nature conquise et héroïque. Elle ne peut exister que consciente de la fragilité qui l’habite. Rembrandt témoigne ainsi des conditions de possibilité du sublime. Connaître l’élévation suppose d’accepter la dépossession de soi.
3. S’abandonner pour recueillir le sublime
Mettre à nu la disposition au sublime permet d’évoquer le nouveau lien qui peut unir les hommes. Fondé sur la reconnaissance de sa faiblesse, il exclut seulement ceux qui comptent orgueilleusement sur leurs propres forces.
3.1. Le dénuement comme condition d’accueil du sublime
Les mendiants de Rembrandt incarnent la disponibilité inhérente à celui qui ne se possède plus lui-même. Cette image n’est pas conforme aux idées communes, qui présentent l’abandon comme un vice. Les faux mendiants d’Adriaen van de Venne (Fig.11 et 12) ricanent et dansent de façon inconvenante, presque inquiétante[34].Ces figures de la démesure sont des contre-exemples. À travers leur manque de maintien physique transparaît leur absence d’éducation. Ces représentations sont dérivées des traités de civilité, en particulier de celui d’Érasme dont le code de convenance affirme une lisibilité du corps. Érasme explique qu’un comportement décent manifeste la vertu, dans la mesure où la discipline du corps aide à une maîtrise des désirs. Contribuant à conforter les préjugés, les peintres reprennent ces indications pour différencier l’homme accompli du paysan et du mendiant[35]. Voûtés, le ventre en avant, la tête penchée, les seconds ont des gestes agités, alors que le maintien de l’homme vertueux exprime la beauté et la régularité d’une nature achevée. À la fois donnée et conquise, cette dernière possède la grâce, libérée de la pesanteur, qui est incarnée par le léger déséquilibre du contrasposto.
Fig. 11 – Adriaen van de Venne, Danse des mendiants, 1635. Huile sur bois, 12 × 28 cm. Mauritshuis, la Haye. Droits de reproduction: Mauritshuis.
Fig. 12 – Adriaen van de Venne (v. 1589- 1662), Mendiants se battant. Huile sur bois, 37.5 x 30 cm. Zeelandic Museum. Droits de reproduction: Instituut Collectie Nederland
Le désœuvrement du mendiant est comparable à celui du paysan qui s’adonne au jeu ou à l’alcool, (Fig.13 et 14). Tous deux s’abandonnent aux passions, qui éloignent de Dieu et de soi-même, en tant qu’être raisonnable et libre[36]. Simon Schama précise que la stupeur provoquée par un tel abandon est proche de l’état mélancolique, le doute qui prive de volonté et de sensibilité. La dispersion de soi-même dans l’extériorité ou l’engourdissement dans la torpeur sont deux états où l’individu ne s’appartient plus. Cela les oppose à la concentration calme du lecteur ou du travailleur domestique (Fig.1) Par son application qui lui donne une apparence d’intériorité, celle-ci s’apparente à la posture méditative, telle que la présente Érasme. « Si l’on dit la messe, manifeste ton recueillement par tout ton maintien. » Aidé par le corps qui est orienté vers la seule direction de l’autel, l’esprit rentre en lui-même et tourne son attention vers un objet unique : le Christ[37].
Fig. 13 – Adriaen van Ostade, Paysans buvant et faisant de la musique dans une grange, v.1635. Huile sur bois, 33,7 × 27,3 cm. Collection particulière. Droits de reproduction: Wikipedia, Web Gallery of Art
Fig. 14 – Adriaen van Ostade, Taverne villageoise avec quatre figures, 1635. Huile sur bois, 13 × 16,5 cm. Residenzgalerie, Salzbourg, Droits de reproduction: Wikipedia, Web Gallery of Art
La lourdeur qui déforme les corps et l’abandon qui engourdit se retrouvent dans les eaux-fortes de Rembrandt, où elles deviennent signes du dénuement qui fait fléchir le corps et la volonté. Repliées sur elles-mêmes, certaines figures ne mendient plus. Elles crient leur souffrance ou se traînent avec lassitude. Le corps devient chair souffrante (Fig.4,6,7). Le désir apparaît en creux comme expression d’un manque pur, qui ne peut se disperser dans le sensible et est empêché de s’approprier le moindre objet. Le désir devient « béance [38] », attente impersonnelle, vidée de toute objectivité et même de toute subjectivité. Ce manque peut alors devenir réceptivité à l’altérité du sublime.
3.2. Se laisser secourir pour retrouver la possibilité d’agir
La Pièce aux cent florins (Fig.15) associe le mendiant à deux autres figures de la faiblesse : l’enfant et le malade. Leur besoin d’être soutenu rend sensible leur disponibilité. Cette estampe donne forme à l’opposition entre les pauvres et les Pharisiens, enclos dans leurs certitudes. Parmi ceux-là, une femme âgée se tient dans l’ombre de son mari, qu’elle soutient (Fig. 16). Présence discrète et aimante, elle aide la faiblesse devenue « torpeur », comme le note Paul Baudiquey. Soutenu sous l’aisselle, « en ce lieu du corps qui demeure, avec la nuque, le « féminin de l’homme », espace d’enfance et de totale dépendance », le vieil homme donne à voir «la part secrète que la détresse offrira, le moment venu, au geste secourable, au geste sauveur[39]».
Fig. 15 – Rembrandt, Pièce aux cent florins , Bartsch 74, 2è état (sur 2), 1648. Eau-forte, pointe sèche et burin, 280 × 393 mm. Collection H. O. Havemeyer, Metropolitan Museum, New York. Droits de reproduction: Metropolitan Museum.
Fig. 16 – Rembrandt, Pièce aux cent florins, détail.
La vulnérabilité est don de soi aux forces qui peuvent l’aider. Contraint à l’humilité, l’individu livre son intimité : la faiblesse qu’il ne peut cacher. Comme en témoigne la fermeté du soutien apporté par sa femme, « l’acte secourable » est respectueux. Acceptant le don qui lui est fait, il le prend à sa charge sans déposséder l’autre de ce qu’il offre. Il l’invite à reprendre la maîtrise de lui-même. La femme aide l’homme redevenu enfant à marcher. Elle lui communique un peu de son énergie et par un geste apparemment inutile, tient fermement sa main droite qui pend, inerte[40]. Conformément à la rhétorique picturale de l’époque, les gestes sont l’équivalent d’un langage muet. La femme très affaiblie aux pieds du Christ n’a pas la force de le regarder. Elle se confie à sa présence rayonnante d’un simple geste de la main. Mais le vieil homme ne peut rien demander. Figure de l’errance, il avance avec difficulté, le regard perdu. Sa femme l’incite à retrouver la parole. Anticipant la parole miraculeuse du Christ : « Étends la main », elle le prépare à accepter le don qui s’offre à lui. « Les vertus et les rites ne sont ici d’aucun secours, car Dieu ne s’obtient pas il se donne, à la mesure – et au-delà – de la béance que la vie creuse en nous, de l’imprévu et de la déroute qui nous acheminent au seuil des vrais consentements[41] ».
Pour accueillir Dieu, la personne vulnérable a besoin d’être accompagnée. Rembrandt évoque la réceptivité au sublime, sous la forme d’une longue chaîne constituée par les mains des malades, depuis la femme qui à l’extrémité droite se tient debout, les paumes ouvertes, le visage dans l’ombre et encadré de lumière, jusqu’à la femme agenouillée aux pieds du Christ. Celle-ci offre à Jésus la chaîne de douleur dans le geste de ses mains jointes. Son ombre qui se projette sur la tunique du Christ témoigne qu’il se laisse toucher. Jésus assume ainsi la faiblesse humaine, qui devient compassion. Il comble de sa présence ceux qui le désirent, comme la femme sur sa natte, abandonnée mais heureuse. Exhaussée par le sublime, la fragilité est convertie en force, voire en vertu. Elle devient générosité. Aussi l’estampe donne-t-elle déjà à voir le miracle. Les contraires s’interpénètrent. L’ombre devient lumière, le renoncement se fait action. Le dépouillement est réceptivité à la Parole, qui devient féconde : à travers les cœurs purs, transformés en attente, l’amour se communique et rayonne.
La transcendance du sublime n’est plus une force de ravissement, mais a la douceur d’une énergie[42] qui se donne à l’individu disponible, tout en le reliant à ses semblables. Cette estampe est unifiée par les demi-tons, par des transitions fluides[43] qui engendrent une continuité très subtile entre l’ombre et la lumière, entre l’homme et Dieu. Certaines eaux-fortes de Rembrandt connaissent une rupture apparentée au sublime de Longin. Non intégrable dans les conditions de l’expérience, une force surnaturelle disjoint l’image[44]. Dans la Pièce aux cent florins, la séparation est produite par le repli de certains hommes sur eux-mêmes. Sans ombre et sans tache, les Pharisiens, qui prônent la pureté incontestable de la Loi, sont enfermés dans un cercle de lumière aveuglante. Misant présomptueusement sur leur intelligence et persuadés de posséder la vertu, ils ne partagent pas l’espace commun et refusent l’échange qui risquerait de troubler leurs certitudes.
Le sublime émane de la transcendance de la grâce, mais il est autant la force immanente et interhumaine par laquelle l’individu devient membre de la communauté. Par sa contemplation, le spectateur expérimente l’énergie qui rassemble et la disjonction qui isole. Les lignes de force le conduisent au centre de la composition, où le Christ se distingue par sa stature. La direction de son regard et celle de sa main droite contraignent à abaisser les yeux vers le groupe des femmes et des enfants. La présence du chien indique au spectateur un chemin lumineux qui l’entraîne à parcourir la droite de l’estampe. Le jeu des regards et des mains le ramène progressivement à la présence du Christ, qui elle-même renvoie vers les pauvres, la chaîne s’ouvrant et se refermant sur son centre indéfiniment. Mais cette chaîne ne peut intégrer les Pharisiens. Signe que la clôture est réversible, certaines personnes sont spatialement et spirituellement intermédiaires entre les deux groupes. Les intellectuels comme Érasme ou le jeune homme riche détiennent des biens, mais restent réceptifs à l’altérité. Tournant le dos aux docteurs, ils écoutent le Christ, ce qui accentue l’isolement de ces derniers, comme retirés en leurs fausses certitudes.
Conclusion
Le mendiant comme figure de l’accueil du sublime renouvelle la vision de l’homme dominante au XVIIe siècle. L’audace de Rembrandt se mesure à l’aune des risques qu’il prend. En défigurant son image, il met en danger sa réputation artistique. La renommée n’est donc pas son but exclusif. Mais son art a une visée politique. Il cherche à renforcer le lien qui rend possible la vie commune des citoyens.
Rembrandt met la société amstellodamoise face à ses contradictions. Elle manifeste l’intention louable de secourir les pauvres. Mais en fait ils connaissent l’exclusion. Leur existence est cachée, à la fois dans la réalité des institutions et dans l’imaginaire collectif, que les œuvres d’art contribuent à nourrir. Rembrandt témoigne de la responsabilité qui incombe à l’artiste, en travaillant sur les idées communes. Il interroge les poncifs et redonne leur force aux idées que l’inertie de l’habitude a émoussées. Si les sermons de Calvin insistent sur la pauvreté du Christ[45], la religion réformée contribue à la discrimination des mendiants, en valorisant les efforts comme signe visible de l’élection[46]. Par l’universalité qu’il confère au message évangélique, Rembrandt réactualise le souffle qui habite les textes de Matthieu.
Bibliographie
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Sources
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Biographie de l'autrice
Claire Charrier est professeur de philosophie au lycée de Béthune. Associée à l’HAR (Histoire des Arts et des Représentations) de Paris Nanterre, elle est l’auteur d’une thèse en philosophie esthétique, préparée sous la codirection de Baldine Saint Girons et de Marianne Cojannot-Le Blanc. Cette thèse a été soutenue en décembre 2016 à l’Université de Paris Nanterre. Son sujet était « Du sublime dans l’œuvre gravé de Rembrandt ».
[1]Voir SIMON SCHAMA, L’embarras de richesses, La culture hollandaise au siècle d’or, traduction française de DAUZAT P. E., Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque illustrée des histoires », 1991. JAN BLANC, « La conquête de l’ordinaire », dans E. BRUGEROLLES et O. SAVATIER SIÖHOLM., Dessiner le quotidien, Paris, Louvre éditions, 2017, p. 15 sq.
[2]JAN BLANC, ibidem, p. 16.
[3]LONGIN, Du sublime, traduction et présentation de PIGEAUD J., Paris, Payot et Rivages, coll. « Petite Bibliothèque », 1993.Datant du 1er siècle après Jésus Christ, ce traité est redécouvert à la Renaissance. Au XVIIe siècle, il est connu dans toute l’Europe, où il fait l’objet de débats dans les milieux théologiques et artistiques.
[4]Voir ALAIN REY, Robert, 2000, Dictionnaire historique de la langue française. Ce sens a prédominé dans la langue française jusqu’au XVe siècle.
[5]ROBERT W. BALDWING, «On earth we are beggars, as Christ himself was», Konsthistorisk Tidskrift LIV, 1985, p. 125-127.
[6]RENE DESCARTES, Principes de la philosophie, 1685, art. 9.
[7]PIERRE GUENANCIA, Lire Descartes, Paris, Gallimard, coll. « Folio/ Essais », 2000, p. 158.
[8]FREDERIC DE BUZON et DENIS KAMBOUCHNER, Le vocabulaire de Descartes, Paris, Ellipses, coll. « Vocabulaire de », 2002, p. 70
[9]GEORG WILHELM FRIEDRICH HEGEL, Esthétique, traduction de LEFEBVRE J. P. et VON SCHENCK V., Aubier, Paris, 1997, p. 119 et p. 118.
[10]Pieter Brueghel en donne les premières versions. JAN BLANC, Dessiner le quotidien, op. cit., p. 16.
[11]JAN BLANC, ibidem, p. 28.
[12] Raphaël, Portrait de Baldassar Castiglione. Avant 1516. Huile sur toile, 82 × 67 cm. Musée du Louvre, Paris.
[13]ALAIN PONS, « Présentation » dans B. CASTIGLIONE., Livre du Courtisan, Paris, Gérard Lebovici, 1987, p. XXVIII. Le Livre du Courtisan est publié pour la première fois en 1528. Pour la notion de sprezzatura, voir le texte de B. Castiglione I, XXV.
[14]BALDASSAR CASTIGLIONE, Le Livre du Courtisan, ibidem, I, XXVIII.
[15]Sur une épreuve du premier état conservée au British Museum, une architecture dessinée à la pierre noire suggère ce qui aurait pu combler le vide. Voir CHRISTOPHER WHITE, Rembrandt as an etcher, Yale University Press, New Haven and London, 1999, p. 133.
[16]BALDASSAR CASTIGLIONE, Le Livre du Courtisan, op. cit., I, XXVI.
[17]ALAIN PONS, « Présentation » dans BALDASSAR.CASTIGLIONE., Livre du Courtisan, op.cit., p. V et XV.
[18]SOPHIE RENOUARD DE BUSSIERRE, Rembrandt, eaux-fortes, Paris musées, 2006, p.56.
[19]Remarque d’EDWIN BUIJSEN, PETER SCHATBORN, BEN BROOS, « Catalogue » dans Q. BUVELOT et C. WHITE, Rembrandt par lui-même, Paris, Flammarion, 1999, p. 172. Cela se voit non seulement à la structure des pierres, mais aux herbes et aux mousses à gauche de la main de Rembrandt, ainsi qu’aux deux pierres posées irrégulièrement l’une sur l’autre derrière son dos.
[20]KAREL VAN MANDER, Principe et fondement de l’art noble et libre de la peinture, Paris, Les Belles Lettres, 2008, fol. 25 r§29 et folio 26 v§45-46.
[21]SOPHIE RENOUARD DE BUSSIERRE, Rembrandt, eaux-fortes, op.cit., p. 42.
[22]QUINTILIEN, De l’institution oratoire, traduction de OUZILLE M. C, revue par CHARPENTIER M., Paris, Garnier Flammarion, 1921, VI, 2.
[23]LONGIN, Du sublime, op. cit., XV. Pour une analyse du pouvoir de la phantasia chez Longin, voir BALDINE SAINT GIRONS, Le sublime de l’Antiquité à nos jours, Paris, Desjonquères, 2005, p. 43-45.
[24]EDDY DE JONGH and GER LUITJEN, Mirror of everyday life, Genreprints in the Netherlands 1550-1700, translated from the Dutch by HOYLE M., Rijksmuseum Amsterdam, 1997, p. 279 et p. 112.
[25]Gerard van Groeningen, « Soixante ans », dans Les Ages de l’homme, entre 1569 et 1575, eau-forte et burin, 24,1 × 19,5 cm, Rijksmuseum, Amsterdam, rijksmuseum.nl
[26]L’église, vers laquelle se dirigent les infirmes méritants, est nettement identifiable sur l’estampe de Pieter Serwouters, Mendiants faisant la bringue, d’après David Vinckboons, Holl. Dutch 17, entre 1608 et 1652, eau-forte, 28× 35,9 cm, Rijksmuseum, Amsterdam. La lettre souligne que certains se font passer pour des infirmes par paresse, alors que les véritables pauvres se soucient avant tout de leur salut.
[27]Voir SIMON SCHAMA, L’embarras de richesses, op. cit. p. 754 sq., ILJA M. VELDMAN., « Images of diligence and labour: the secularization of the work ethic », in Images for the eye and soul: function and meaning in netherlandish prints (1450-1650), Leyden, 2006, Primavera Pers, p.171-192.
[28]ROBERT W. BALDWING, «On earth we are beggars, as Christ himself was», op. cit., p. 122-123.
[29]LONGIN, Du sublime, op.cit., XVII, 1-2. Pour une analyse des enjeux de l’analyse du principe du kairos, voir BALDINE SAINT GIRONS, Fiat Lux, une philosophie du sublime, Paris, Quai Voltaire, 1993, p. 233 et p. 309.
[30]LONGIN, Du sublime, op.cit., XXXIX à XLIV.
[31]LE TASSE, Discours de l’art poétique. Discours du poème héroïque, V, traduction et présentation de GRAZIANI F., Paris, Aubier, 1997, p. 315. Voir aussi CLÉLIA NAU, Le temps du sublime, Longin et le paysage poussinien, Presses universitaires de Rennes, 2005, coll. AESTHETICA, p.109 sq.
[32]GARY SCHWARTZ, Rembrandt, Paris, Flammarion, 2006, p. 9 et p. 373. Il note que l’œuvre de Rembrandt est habité par le désir qu’exprime Paul : « se faire tout pour tous » (1 Corinthiens 9,16-23).
[33]JEAN GENET, Rembrandt, Paris, Gallimard, 2016.
[34]Simon Schama évoque une « fourberie démoniaque », L’embarras de richesses, op. cit.,p 757.
[35]ANNA C. KNAAP, « From Lowlife to Rustic Idyll: the Peasant Genre in 17th Century Dutch Drawing and Prints », Harvard University Art Museum Bulletin, IV, 2, 1996, p. 30-59.
[36]Voir SIMON SCHAMA, L’embarras de richesses, op. cit., p. 276; GEORGES VIGARELLO, «S’exercer, jouer», dans Histoire du corps, Seuil, 2005, p. 247 sq.
[37]ÉRASME, La civilité puérile, traduction française de BONNEAU A., Paris, Isidore Liseux, 1877.
[38]Expression de PAUL BAUDIQUEY, Un Évangile selon Rembrandt, Paris, Mame, 1989, p. 82. Il commente la Pièce aux cent florins.
[39]Ibidem, p. 75-76.
[40]Le miracle de la main paralysée se trouve dans l’Évangile de Matthieu (12, 9-14), intégré à une discussion entre le Christ et les Pharisiens sur ce qu’il est permis de faire lors du Sabbat. Nous pensons que Rembrandt, qui s’inspire pour cette estampe de multiples épisodes de l’Évangile de Matthieu, évoque aussi la scène de la main paralysée.
[41]PAUL BAUDIQUEY, Un Évangile, op. cit. , p. 82.
[42]Voir l’analyse de Baldine Saint Girons pour l’idée – formulée à partir de la Recherche philosophique sur l’origine de nos idées du sublime et du beau d’Edmund Burke – d’un sublime doux, lié à la puissance de l’amour. Fiat Lux, op. cit., p. 491 sq.
[43]CHRISTOPHER WHITE, Rembrandt as an etcher, op. cit., p. 54 sq.
[44]Voir par exemple Jérôme lisant dans un paysage italien, Bartsch 104, gallica. bnf.fr/Bibliothèque nationale de France
[45]JEAN CALVIN, Sermons sur la prophétie d’Ésaïe LIII touchant la mort et la passion du Christ, « Deuxième sermon sur Ésaïe, 53,1-4 », la revuereformée.fr
[46]MAX WEBER, L’éthique protestante et l’esprit du capitalisme, traduction française de KALINOWSKI I., Paris, Flammarion, 2002.
* Biographie de l'autrice
Claire CHARRIER est professeur de philosophie au lycée de Béthune. Associée à l’HAR (Histoire des Arts et des Représentations) de Paris Nanterre, elle est l’auteur d’une thèse en philosophie esthétique, préparée sous la codirection de Baldine Saint Girons et de Marianne Cojannot-Le Blanc et soutenue en décembre 2016 à l’Université de Paris Nanterre. Son sujet était « Du sublime dans l’œuvre gravé de Rembrandt ».